Cette année encore, les
incertitudes sur l’élection du Conseil fédéral ont pesé de tout leur poids sur
la machine politique suisse. Pour beaucoup, le grand souk fédéral s’apparente
au final à un exercice lassant et nombreux sont ceux qui poussent un grand ouf
de soulagement après ce marathon politique. Cette lassitude ne restera
toutefois pas inexploitée. Les promoteurs de l’initiative populaire pour
l’élection du Conseil fédéral par le peuple ne manqueront pas de la faire
fructifier en capital politique. D’où l’importance d’une réflexion sérieuse et
ambitieuse sur la légitimité de l’élection du Conseil fédéral par le Parlement
et les rapports entre ces deux organes et les citoyens. Préparer une élection
2015 plus sereine, c’est comprendre à quelle logique répond le système actuel
et se demander pourquoi le Parlement est la meilleure instance pour cette délicate
mission.
De la logique intégrative de notre système politique
Pour bien comprendre les enjeux
de l’élection du Conseil fédéral, il faut poser la question de la condition
institutionnelle de cette élection. L’élément le plus important s’avère être
les instruments de démocratie directe. La possibilité pour 50'000 citoyens de
remettre en question une décision fédérale et pour 100'000 citoyens de déposer
une initiative populaire obligent le Conseil fédéral et le Parlement à tenir
compte des forces politiques en présence. Comme l’a montré l’après Deuxième
Guerre mondiale – où les socialistes ont quitté le Conseil fédéral entre 1953 et
1959 – les partis importants qui seraient laissés en marge ont la capacité de
bloquer la machine politique. En d’autres termes, les outils de démocratie
directe exercent une force intégrative très
forte. La consultation du plus grand nombre est inscrite dans l’ADN du système
politique que ce soit dans le cadre du Parlement, du Conseil fédéral ou plus
largement dans les droits populaires dont nous jouissons.
Une courroie de transmission
politique
C’est sous cette condition institutionnelle
fondamentale que le Parlement doit s’acquitter de sa mission élective du
Conseil fédéral. Le Parlement est certainement l’instance la plus à même de
répondre à ce défi car il est le seul à pouvoir fonctionner comme courroie de
transmission politique. En plus de sa légitimité démocratique directe et
respectueuse de la diversité des cantons, le Parlement est l’instance la plus
capable d’intégrer dans un vaste mécanisme de consultation une diversité de
paramètres : la couleur politique, la langue, le sexe, la profession, les
intérêts ou encore l’origine sociale. En transmettant une exigence de représentativité, la courroie participe
profondément de la légitimité et de l’efficacité du collège fédéral. A
l’inverse, le vote populaire ne permettrait que de manière très imparfaite une
telle prise en compte globale.
Une vision idyllique ?
En théorie, le système fonctionne
à merveille. La période entre les élections fédérales et ce 14 décembre a
pourtant montré une facette moins rayonnante de la politique fédérale :
arrangements de coulisses, tractations obscures, rapports de force exacerbés. Ces
problèmes ne peuvent et ne doivent surtout pas être niés. Dans ce contexte, il
relève de la responsabilité des partis et des élus de ne pas galvauder ce
moment démocratique et de placer le choix du collège au-dessus
des intérêts partisans.
Au-delà de ces défis, le génie de
la machine helvétique se lit sur le moyen ou le long terme. Si la logique intégrative a poussé à l’entrée d’un 2ème UDC au Conseil fédéral en
2003 (Blocher contre Metzler), cela ne signifie en aucun cas que ce résultat
spécifique (2+2+2+1) est maintenant gravé dans le marbre. L'élection de ce mercredi l'a montré, même si, à terme, le retour au 2+2+2+1 apparaît en tous les cas possibles. Si la formule magique
a surtout fonctionné avec une clef de répartition arithmétique et
proportionnelle (force politique => nombre de sièges), elle est à même
d’intégrer d’autres éléments. La magie de la formule réside ainsi plus
profondément dans sa fantastique capacité d’intégrer les éléments les plus
importants de la politique suisse, donnant ainsi au Conseil fédéral les moyens
d’assurer sa mission primaire, gouverner. Les incertitudes des dernières années
traduisent sans doute une phase d’adaptation dans la nécessaire intégration des
forces politiques possédant un poids et une volonté suffisants pour garantir le
fonctionnement de nos institutions.
Sebastian Justiniano, foraus– Forum de politique étrangère
Johan Rochel, foraus– Forum de politique étrangère