lundi 7 décembre 2009

Du défi de surmonter les minarets

On aurait grand tort de considérer le vote anti-minarets comme un acte minime ou exceptionnel. C’est toutefois sur les débats futurs qu’il faut concentrer ses forces. Un essai.

Coup double! A longueur d'éditos, les commentateurs de tous bords tentent de minimiser la portée et de faire passer pour exceptionnel le vote sur les minarets. Je m’inscris en faux face à cet effort d'atténuation. Ce n'est pas à l'aune des conséquences pour l'économie que la décision doit être jaugée, mais bien pour l'entorse au principe de non-discrimination qu’elle représente, l'une des garanties cardinales de notre État de droit (Art. 8 de la Constitution). De plus, on se fourvoierait de croire que le peuple suisse a simplement trébuché et que l’incident est grave, mais exceptionnel. A l'inverse, je parierais volontiers sur l'augmentation du nombre de conflits de ce genre. Surtout si deux phantasmes, confinant au fétichisme dans certains cercles politiques, devaient perdurer.
D'une part, nous ne vivons (et ne vivrons plus) dans une société homogène, partageant un ensemble étoffé de normes morales, religieuses et culturelles communes. Il ne s’agit pas seulement d’immigration, mais également du libre développement des individus dans une société libérale. Dans une société pluraliste hétérogène, les bases du vivre-ensemble doivent être radicalement repensées.
D'autre part, il faut rappeler le danger de l’idée du peuple über alles. Rousseau l’avait déjà noté dans son Contrat social : le peuple souverain doit être protégé contre lui-même. La démocratie devient tyrannie de la majorité si elle n’est pas encadrée d’un régime de droits fondamentaux garantis pour tous, dont la non-discrimination est l’une des garanties transversales.

Penser les débats de demain comme pesée d’intérêts

Il importe maintenant de réfléchir sur la structure des conflits de type minarets. Comme l'explique Walter Kälin de manière éclairante*, ils se caractérisent comme une pesée d'intérêts légitimes, mais parfois contradictoires. Trois intérêts principaux doivent être mis en évidence : neutralité de l'État (traitement des individus sur un pied d'égalité), sauvegarde de l'identité propre (protection des traditions de la culture majoritaire) et reconnaissance des spécificités culturelles (prise en considération des caractéristiques spécifiques des minorités). Ces trois intérêts forment la base de toutes les discussions qui font l'actualité, des dispenses aux cimetières confessionnels. Aborder ces questions sous l'angle d’une pesée d'intérêts légitimes a deux conséquences principales.
Premièrement, l'idée d'une règle d'or permettant de résoudre tous les conflits disparaît pour faire place à la complexité des enjeux en présence. Soulignons que cette complexité n’est ici pas synonyme de relativisme. La bonne solution n’existe pas ; elle varie à l’aune de l’attention accordée aux différents intérêts en présence. Ces débats difficiles doivent être encadrés par un ensemble de valeurs fondamentales communes, comprenant par ex. l'égalité homme-femme.
Deuxièmement, dans une pesée d'intérêts, le contexte et la situation spécifiques acquièrent une importance de premier plan. Les principes seuls ne suffisent pas à rendre compte des multiples facettes de la problématique. Poussée à l'extrême, la reconnaissance des spécificités culturelles peut mener à une société de ghettos. Quant à la sauvegarde de l'identité propre, elle n’est un but légitime que dans certaines situations bien précises, où la survie de l’identité est directement menacée. Dans les autres cas, la tyrannie de la majorité menace. En effet, l’argument devient fallacieux lorsqu'il suppose l'homogénéité (la culture suisse) et qu'il manipule de manière démagogique une construction aussi malléable que l’«identité» d’une communauté.
Loin de l’appel venu des extrêmes politiques, une décision doit être prise après avoir mis en perspective l’ensemble des intérêts en présence. Méfions-nous d'une société où la Différence serait clouée au pilori!


J.Rochel
www.chroniques.ch

* Walter Kälin, Grundrechte im Kulturkonflikt (2000)