lundi 20 septembre 2010

Relevez vos manches et saisissez le bonheur !

Le bonheur ressemble-t-il plutôt à un cadeau tombé du ciel ou à une récolte durement gagnée à la sueur de son front ? Parbleu, il n’y a aujourd’hui pas de doute permis : le bonheur est à portée de main ! Il suffit de faire preuve d’un peu de volonté pour être en mesure de le croquer à pleines dents.

Mais les masses sont si dissipées. Tant de gens laissent encore de la place à l’improvisation et à la spontanéité, au lieu de planifier leur vie sous forme d'une liste de choses à accomplir, façon course du samedi matin. Il faut être rigoureux et se donner des objectifs ambitieux : étudier, travailler, devenir riche, fonder une famille, devenir plus riche, profiter de la retraite, être heureux, être heureux, ne plus être... Au gré des envies, quelques variations mineures sont possibles, mais il ne s’agira pas de s’éloigner trop du modèle standard.

Risible ? A peine. Nous vivons dans une société travailleuse et dépourvue de raison divine qui fait l’apologie du pouvoir de prendre en main sa vie et de trouver le bonheur. Ce pouvoir est certainement une chance unique dans l’histoire de l’humanité. Sous nos contrées, jamais les hommes et les femmes n’ont eu autant d’occasions de vivre une vie heureuse. Accidents, maladies, tragédies ne sont plus que de bêtes incidents de parcours. La mort a quasiment quitté notre quotidien, reléguée à un statut exceptionnel. Il n’a jamais été aussi mal vu de mourir. Quel manque de prévoyance!

Mais voilà, ce pouvoir s'est transformé en obligation pesante. Opportunité s’est faite nécessité et les réprimandes sont lourdes pour qui ne parvient pas à porter le poids de son propre bonheur. Les cigales n'ont pas bonne presse, et il faudrait mieux être une fourmi efficace. Tête baissée à la façon du paysan travaillant son champ, nous poursuivons le labourage de notre liste intérieure. Seule la force du poignet est garante de notre bonheur et de notre place parmi la besogneuse communauté des hommes. Garder le cap, tenir bon, sourire. Si nous avons manqué le bonheur aujourd’hui, nous l’aurons demain.

Et malheur à ceux qui attendent la bouche en cœur ! Vous serez voués aux gémonies, vous qui n’avez la volonté de vous ménager une place au soleil. Faites fi de vos jérémiades : celui qui veut, peut, doit ! Et tant pis pour les cancres du fond de la classe, les chômeurs paresseux et les handicapés de tout poil. Le ciel n'accueille que les braves.

Johan Rochel
www.chroniques.ch

lundi 6 septembre 2010

Une révolution conservatrice est en marche

Il faut parfois prendre un brin d’altitude pour oser une interprétation dégagée sur certaines évolutions. Le nombre d’initiatives populaires s’attaquant de front au régime des droits de l’homme est en augmentation. A l’horizon pointe déjà une lame de fond portant sur la Convention européenne des droits de l’homme. Et la confusion savamment entretenue entre l’Union européenne et le Conseil de l’Europe ne manquera pas d’offrir à ses détracteurs une occasion rêvée de faire coup double : des droits de l’homme qui tuent la démocratie et une Europe qui étouffe peu à peu un pays souverain.

Mais pourquoi cette attaque sur les droits de l’homme ? Plus que tout autre phénomène transnational, les droits de l’homme sont la manifestation d’un monde en changement. Les acteurs économiques, politiques ou culturels sont pris dans des réseaux d'interactions permanentes, les normes acquièrent une validité au-delà des frontières et des structures de collaboration supranationale se mettent partout en place.

C’est face à cette réalité que la révolution conservatrice déploie toute son énergie. Mais que recouvre-t-elle ? Une forme de déliquescence de la culture politique, prête à remettre en question ses propres fondements dans une posture de négation de la réalité. Cette révolution se concentre autour d’une conviction aussi forte que difficilement tenable : la Suisse est un îlot qu’il convient de protéger de toutes influences extérieures. Face à ces phénomènes transnationaux profonds, les conservateurs semblent prêts à courir tous les risques, quitte à pactiser avec des forces franchement réactionnaires ou ouvertement xénophobes. Détournant les instruments de notre démocratie, ils attaquent sans relâche toute intrusion supposée dans la « souveraineté » suisse.

Comment lutter contre cette révolution conservatrice ? La réponse se trouve dans le diagnostic. Il faut appeler à un renouveau de la culture politique suisse, une culture à la fois démocratique, libérale et positivement ouverte sur l’Autre. Le plus grand piège serait de croire que l’on peut ériger des barrières exclusivement légales face à cette révolution. La discussion sur les critères d’invalidation des initiatives populaires, encore menée presque exclusivement sous un angle juridique, pèche par excès de formalisme. Outre de nécessaires garde-fous, la seule solution durable passe par une réappropriation des fondements et de la place de notre État dans le monde, mais également par un appel à la responsabilité, la transparence et au courage politique. Première échéance avec l'initiative moutons noirs.

Johan Rochel
www.chroniques.ch