lundi 25 février 2008

Les Jeux de la honte

Les JO de Pékin qui débuteront dans quelques mois consacreront d'un même coup l’impuissance du CIO à faire respecter ses règles ainsi que l’insolence grandissante du régime chinois.
Rappelons que le choix de la candidature de Pékin était assorti d’une condition, stipulant entre autres que la situation des droits de l’homme devait sensiblement s’améliorer. Soyons sur ce point très clair : le contrat ainsi établi a été bafoué par le régime communiste. Seulement, le CIO n’a aucun moyen de pression sérieux. Il ne peut que rappeler Pékin à ses engagements, incapable de formuler une sanction. Dans le jeu sans pitié des relations internationales, ces rappels à l'ordre ne restent donc que vœux pieux !

Non pas que le problème ne soit pas soulevé dans les médias occidentaux (quoique parcimonieusement), mais la position présentée manque de cohérence. La réaction des personnes interrogées à ce sujet souffre du même problème. Si les droits de l’homme correspondent à un idéal que nous souhaitons voir fleurir partout*, nous devons boycotter autant que faire se peut ces JO. Cette exigence morale concerne aussi bien les responsables politiques, les fédérations sportives**, les athlètes que les (télé)spectateurs.
« Accepter » ces JO, c’est oublier tous les travailleurs forcés, les quartiers de Pékin détruits et les habitants déplacés de force. En dehors du strict cadre des Jeux, c’est montrer son acceptation tacite des pratiques chinoises en matière de droits de l’homme.

« Mais qu’est-ce que cela change si je ne regarde pas les Jeux sur mon téléviseur ? » demanderont les plus sceptiques. Tout d’abord, il est question de cohérence sur le plan individuel. Si l’exigence éthique des droits de l’homme évoque quelque chose pour moi, je me dois de l’observer en vue de conserver une cohérence personnelle. Et ce, même si les effets que je suis en mesure de provoquer restent très faibles. De plus, les actions individuelles peuvent créer un mouvement de fond. Sur les résultats financiers des ventes de produits merchandising, sur les chiffres de l’audimat, ou au sein du débat public, à même de provoquer des réactions diplomatiques.

J’ai évoqué l’insolence du régime chinois. En se voyant accorder les Jeux, Pékin reçoit une sorte de vernis de légitimité de la part de la communauté internationale. Non content de ce cadeau immérité, les cadres du parti se permettent l’arrogance de narguer le CIO et tous les défenseurs des droits de l’homme. En souhaitant faire brûler la flamme au cœur de l’Himalaya, Pékin ré-affirme son droit d’oppresser et d’anéantir le peuple et la culture tibétains.
En espérant des améliorations notoires, le CIO a fait preuve d’une effroyable naïveté. Ou alors, l’affaire est autrement plus grave et il est question de corruption et de vastes magouilles. Ultime hypothèse : sous des allures d’institution humaniste et de fleuron de la civilisation, le CIO cache des zones d’ombre en matière de droits humains. Une prochaine chronique sur le thème des Jeux africains pourrait nous confirmer cette hypothèse.

Johan Rochel



* Je défends donc ici une lecture résolument universaliste des droits de l’homme, représentant un but à atteindre en tout temps et en tous lieux.
** Sur ce point, il est effrayant que la fédération anglaise veuille faire signer une charte de « bonne conduite » à ses athlètes, leur faisant promettre de ne pas réaliser d’action à caractère politique. Tous ont en souvenir le poing levé de deux athlètes de couleur aux JO de Mexico. Les athlètes sont-ils prêts à mettre de côté toute considération morale ?

lundi 18 février 2008

Mais qui peut voter ?


Au premier abord, la question peut paraître triviale, presque stupide. Lors d’un vote démocratique, qui possède un droit légitime à prendre part au vote ? Prenons un exemple, afin de mettre en lumière la finesse du problème. La France souhaite construire une nouvelle centrale nucléaire, qu’elle a décidé de placer à proximité de la frontière suisse. Une ville de taille importante, par. ex. Genève, se situe dans un périmètre de 30 km. Qui devrait posséder le droit de se prononcer ? Seulement les Français ? Les Suisses de la région touchée seront pourtant directement concernés par la nouvelle centrale. Ne pourraient-ils pas faire valoir une juste prétention au vote ?
Une première remarque d’ordre logique s’impose. La question de savoir « qui devrait voter ? » ne peut être initialement résolue par un vote démocratique. Ce dernier suppose que nous sachions déjà qui peut voter, or c’est justement ce que nous recherchons. Ce sont donc d’autres critères qui doivent nous aider à résoudre le problème.

Les démocraties actuelles nous offrent des exemples de tels critères. Et trois points semblent particulièrement se détacher : le territoire, la nationalité et l’histoire*. Mais quel principe encore plus fondamental se cache derrière chacun de ces trois critères ? Ils reposent sur la conviction que les intérêts des individus sont affectés par les choix et actions des autres individus partageant ses critères : une sorte de communauté d’intérêts. Par ex., on estime justifié que les Suisses (dans la limite d’un territoire, d’une nationalité ou d’une histoire commune) possèdent un droit de vote, car le destin d’un citoyen suisse est lié à celui de ses voisins.
Mais ces trois critères ne sont pas parfaitement alignés avec le critère « être affecté par… ». Ainsi, dans notre exemple initial de la centrale nucléaire, les Genevois sont pleinement touchés par l’installation, mais ne peuvent toutefois faire valoir des droits car ils ne partagent pas le même territoire ou la même nationalité. Un autre exemple pourrait être celui d’un étranger vivant en Suisse depuis 20 ans. Il partage son quotidien avec des Suisses – en ce sens, l’histoire suisse des vingt dernières années est aussi la sienne -, vit dans les mêmes frontières mais ne jouit pourtant pas du droit de se prononcer sur les lois du pays (alors qu’elles l’affectent comme les autres citoyens).

Sur un plan moral, il semble justifiable de retenir le critère « être affecté par… » comme base de droit. En effet, il paraît juste qu’une personne puisse co-décider si elle est touchée par la décision à prendre. Mais, sur la base de ce critère, un nombre incontrôlable de personnes peut alors être intégré dans le processus de vote. Les Irakiens seront les premiers touchés par le choix du prochain président américain : ils devraient donc pouvoir voter**. De même pour les réfugiés vivant en Suisse : ils auraient pu co-décider de la nouvelle loi sur les étrangers. En bref, la situation devient vite telle que chacun peut prétendre voter sur tous les sujets du monde.

Cet idéal moral semble impossible à réaliser dans la pratique. Le défi consiste donc à trouver la forme pratiquement possible qui correspond le plus à ce critère « affecté par… ». Le projet peut toutefois nous emmener passablement loin.

La solution pratique retenue actuellement semble être le cadre d’un Etat-Nation. Les citoyens forment ainsi le noyau des co-décideurs. Sur ce cadre national, on pourrait toutefois imaginer superposer de nouvelles formes démocratiques, permettant d’approcher la situation où toutes les personnes concernées par une décision auraient leur mot à dire (comme dans l’ex. de la centrale). A ce titre, ne devrait-on pas voter à l’échelle européenne, voire bientôt mondiale ? Peut-on imaginer une démocratie mondiale, qui fonctionnerait sous la forme d’une confédération ? Cette idée relève encore de l’utopie dans la pratique, elle n’en est pas moins passionnante sur le plan théorique.
Une autre voie, plus modeste, pourrait être celle d’une plus forte législation internationale. Cela nous permet de revenir à notre exemple de la centrale nucléaire. Si les Genevois ne peuvent pas voter, au moins leurs intérêts pourraient-ils être protégés par l’existence de lois internationales, assurant par ex. qu’un pays souhaitant construire une centrale nucléaire à proximité d’un autre pays réponde de garanties précises. La problématique de la justice a ici été transférée du « avons-nous un droit à voter ? » à « nos intérêts sont-ils défendus ? ».
Nous avons évoqué ici des solutions allant vers plus de possibilités de décider à l’échelle internationale. Qu’en est-il de l’ « intérieur » ? Sur la base des réflexions présentées ici, ne pourrions-nous pas justifier un droit de vote pour des étrangers installés en Suisse depuis longtemps ?

Johan Rochel

* Voir le texte introductif de Robert E. Goodin, « Enchranchising all affected interests, and its alternatives », Philosophy and Public Affairs 35, 2007
** Il est, à ce titre, très intéressant de remarquer que de nombreux commentateurs soulignent que tous les partenaires internationaux des Etats-Unis sont dans une phase d’attente. Ils savent l’influence énorme qu’aura le choix américain sur le quotidien du reste du monde, sans toutefois pouvoir participer ou même influencer de manière décisive cette votation. Derrière une réflexion de ce genre se cache l’intuition que nous tentons de développer ci-dessus.

mardi 12 février 2008

Histoire (d'éducation) sexuelle

Au cours de leur scolarité, les bambins valaisans reçoivent par trois fois des cours d’éducation sexuelle (4ème et 6ème prim., 2ème du cycle). Depuis la rentrée 2007-2008, ces cours sont dispensés par deux partenaires : les centres SIPE (sexualité, information, prévention, éducation) et l’AVIFA (assoc. amour-vie-famille). Selon le département de l’éducation, les deux partenaires répondent aux trois exigences nécessaires pour devenir un interlocuteur officiel des écoles : être reconnu par le département, posséder des intervenants formés en santé sexuelle et respecter un programme cantonal précis. Libre ensuite aux communes de choisir avec quel intervenant elles souhaitent collaborer.
Tout va donc pour le mieux ? Non, répond l’auteur de cette chronique. Avancer dans cette direction, c’est revenir à un autoritarisme moral et à des menaces pour notre liberté.
Faisons donc à nouveau les présentations. D’un coté, les centres SIPE sont affiliés à une structure nationale, disposent d’une formation spécialisée dans les universités et HES suisses et d’une reconnaissance sur le plan international. De l’autre coté, l’AVIFA propose un enseignement basé sur une éthique chrétienne, disposant de plusieurs sections cantonales et d’une formation de quelques semaines dispensées à Paris dans le nébuleux « Centre de liaison des équipes de recherche sur l’amour et la famille ». Afin de se donner une idée du type de formation dispensée à Paris, le lecteur soucieux d’en apprendre plus se rendra sur www.cler.net ! Il n’est pas au bout de ses surprises, sur un site où l’on prétend que la méthode dite « naturelle » est un moyen fiable de réguler les naissances.

Se pose maintenant une question essentielle : qui est autorisé à dispenser un enseignement dans les écoles valaisannes ? Une éducation doit se présenter sous l’aspect le plus neutre possible, particulièrement sur le plan moral. En effet, tout contrôle extérieur est rendu difficile vu que l’enseignant quitte la salle durant le cours d’éducation sexuelle, afin de permettre aux élèves de s’exprimer librement. La prudence maximale est donc de mise.
Où réside la justification de cette exigence de neutralité morale ? Nos sociétés occidentales font jour après jour l’expérience du pluralisme, c’est-à-dire que personne n’est légitimé à imposer ses vues morales ou sa définition d’une vie « bonne ». Dans les limites du cadre légal, chacun est libre de poursuivre l’existence qu’il a choisie. Sur cette question, il est certain que les centres SIPE ne dispensent pas un enseignement neutre – cela reste un but idéal – mais il est en tous les cas plus neutre que celui de l’AVIFA.
Un enseignement a pour but de donner des clefs aux enfants et ados afin qu’ils appréhendent de la meilleure manière leur sexualité. Comment considérer l’AVIFA quand elle parle de contraception en ces termes : « il y a les préservatifs, mais il y a aussi d’autres solutions, comme l’attente ou la fidélité », dixit Nicole Délitroz, présidente d’AVIFA Valais. Sans porter un jugement de valeur sur cette situation, qui peut honnêtement se présenter devant une classe de 2è du cycle et vouloir toucher la majorité des élèves en prônant l’abstinence ? Comment parler d’homosexualité en se réclamant de schémas de pensée où celle-ci est encore décrite comme une déviance, presque une pathologie ?
L’AVIFA vit dans un autre monde, s’accrochant à une rigidité morale d’antan. La distance entre la réalité et son discours a pris des proportions alarmantes. C’est son droit le plus strict que de s’accrocher à ce discours, ce n’est pas son droit que de venir l’imposer aux jeunes valaisans. A mon sens, une formation doit se trouver à mi-chemin entre la sexualité telle qu’elle est vécue au quotidien par les jeunes et des normes trop strictes. Non pas que l’enseignant doive délaisser toute notion de morale, mais son discours doit éviter de stigmatiser des pratiques que lui estime déviante. C’est en ce sens qu’il respecte une certaine neutralité morale. Il encourage la responsabilité des élèves, tout en considérant la liberté de chacun de manière absolument prioritaire.

Il est également possible de prendre le problème sous un autre angle. Quelle différence y a-t-il entre l’AVIFA et un autre groupe privé ? Prenons un exemple extrême, qui j’espère ne froissera personne. Si l’association d’éducation sexuelle musulmane (pure invention) jouissait du droit d’enseigner dans nos écoles, cela soulèverait-il un véritable tollé ? Et pourtant, quelle différence avec l’AVIFA ? Ses partisans répondront que l’éthique chrétienne qui inspire leur enseignement jouit d’une longue tradition en terres valaisannes. Effectivement, cette tradition peut être considérée comme une richesse tant qu’elle ne devient pas une entrave à la liberté de l’ensemble des citoyens valaisans. Comment peut-on accepter que, sous couvert de l’Etat, un tel enseignement soit imposé à des enfants de personnes d’origine culturelle différente ou ne partageant pas une foi chrétienne ?

Johan Rochel