vendredi 23 septembre 2011

Lettre ouverte à Michael Reiterer

Présent depuis 2007 au titre d’ambassadeur de l’Union Européenne (UE) en Suisse, vous manquerez la prochaine rentrée automnale. Votre visage bien connu s’en ira vers d’autres horizons diplomatiques et il est plus que temps de prendre la plume pour vous dire que vous avez représenté l’Europe de belle manière. Mais les compliments ne sont pas chose aisée chez nous autres Confédérés. L’Hebdo titrait ainsi pudiquement en juillet « L’ambassadeur qui sera regretté assez vite ». L’avenir nous le dira.

Votre bonhommie et votre sens de la répartie – doublée d’une solide capacité à garder son calme - ont parfois même laissé oublier l’asymétrie des puissances en présence. La Suisse et ses 8 millions d’âmes et l’immense UE, forte de 27 Etats et de 501 millions d’habitants. Je vois bien certains lecteurs sourire en coin en passant à l’actualité peu joyeuse de la zone euro. « Verra bien qui rira le dernier » semble murmurer une sagesse populaire valant cette fois des deux cotés de la Sarine et du Gothard. Mais ne nous y méprenons pas, cette Schadensfreude ne change rien à la réalité des faits.

Et, au-delà du langage diplomatique qui prévaut, les faits brillent d'une aveuglante clarté. Les relations entre l’UE et la Suisse ont besoin d’une « nouvelle dynamique » ; elles sont pleines de « défis ». En d’autres mots : tout est bloqué. Vous avez répété à qui voulait l’entendre que la Suisse et l’UE étaient liées non seulement par des traités bilatéraux, mais surtout par des traités « sectoriels ». Cette distinction d’apparence pointilleuse prend aujourd’hui tout son sens, à l’heure où une résolution de la « question institutionnelle » est devenue condition non-négociable à la poursuite des discussions.

Ces cinq ans passés en Suisse vous ont-ils rendu plus sceptique face à l’Union ? Votre force de conviction semble à peine émoussée, elle qui vous a permis de faire continuer à vivre un débat européen sous nos latitudes. Il est vrai que le terreau pouvait difficilement être moins fertile. La génération qui combattait aux avant-postes en 1992 lors de la votation sur l’EEE semble encore sous le choc du verdict populaire. Elle ère dans des assemblées politiques désertées, invoquant des idées aussi saugrenues que la paix et la prospérité en Europe. La montée en puissance de l’UDC et de son mentor historique ont définitivement coupé les ponts. Gageons de plus que leur travail de fond portera ses fruits pour de longues années encore. Tombée dans cette marmite du scepticisme européen quand elle était petite, la nouvelle génération semble incapable de penser l’Europe de manière positive. Et si oui, seulement de manière instrumentale.

Au cours de leur histoire, les Confédérés ont prouvé plus d’une fois qu’ils savaient à merveille sentir le vent tourner et manœuvrer en conséquence. Les forces isolationnistes auraient-elles réussi à tuer ce sens politique ? J’en doute et vous envoie cette note d’optimisme en guise d’au-revoir.

Johan Rochel

Cette lettre ouverte est la troisième d’une série dédiée à certaines personnalités quittant la Berne fédérale.

jeudi 15 septembre 2011

Lettre ouverte à Joseph Zisyadis

Il n'est déjà pas habituel de découvrir des recettes culinaires sur un blog politique. Mais qu'un Stambouliote communiste et théologien, fumant la pipe et se réclamant amateur de bonne chère nous propose de découvrir son « salami au chocolat » dépasse une bonne fois pour toutes les bornes de l'helvétiquement correct. Votre œcuménique « couscous aux filets de perche du lac » n'y changera malheureusement rien.

Mais ces quelques recettes ne forment que l'amuse-bouche – pardonnez cette transition aisée – d'un parcours autrement plus original. En effet, quel chemin parcouru d'Istanbul à Lausanne, de la faculté de théologie aux arcanes du Parlement fédéral, de conseiller communal à habitant scandalisé du canton d'Obwald ! Après près de 18 ans de services sous notre honorable coupole fédérale, un personnage truculent quitte en octobre la capitale.

Vu de l'extérieur, on ne peut s'empêcher de se demander à quoi ressemble le travail d'un parlementaire communiste. Le changement de paradigme prôné est si important que travail en équipe avec vos collègues ne peut rimer qu’avec collaboration. Est-ce pour vous dépêtrer de cette nécessaire potée politique – à la fois peu ragoûtante et digeste – que vous utilisez souvent la parabole du chemin à parcourir? « La politique doit être partage, amitié, confiance, un bout de chemin que l’on fait ensemble, un projet que l’on fait vivre pour rendre ce monde plus tendre, plus juste et plus humain » écriviez-vous lors de la campagne 2007. Mais pour un communiste pur souche, ne faut-il pas y voir l'abandon d'un combat autrement plus extrême, à savoir le dépassement d'un système profondément injuste? La stratégie des petits pas est-elle en adéquation avec les attentes de ceux qui vous ont envoyé à Berne? Ces questions, vous les avez certainement ressassées plus d'une fois. Après tout, ne sont-elles pas le lot des courageux et des fous qui prônent une rupture fondamentale, presque ontologique?

Afin de jauger de la présence et de l'action d'un conseiller national d'extrême gauche, il faut peut-être prendre de l’altitude. Au final, ne s'agit-il pas de marcher ensemble vers la vérité? Soit vos propositions étaient véritablement saugrenues et leur réfutation nous a permis d'avancer d'un pas plus assuré vers un choix raisonnable. Soit vos propositions méritaient examen plus attentif, et nous avons eu l'occasion d'améliorer notre opinion. « Gagnant-gagnant », diraient les plus optimistes. Perte de temps, repousseraient les sceptiques. Au moment d'envoyer un éventuel successeur rouge à Berne, les électeurs trancheront cette épineuse question. Quant à moi, je vous adresse mes vœux pour une continuation à la fois épicée et engagée.

Johan Rochel

Cette lettre ouverte est la deuxième d’une série dédiée à certaines personnalités quittant la Berne fédérale.