Les universités suisses ont-elles le droit
d’exiger des frais d’inscription plus élevés pour les étudiants venus de
l’Union européenne (UE) ? Le débat relancé début novembre par la
professeure Astrid Epiney (université de Fribourg) semble avoir fait long feu.
Dommage, car sous l’apparence d’une question de détails, il touche au cœur de
la dynamique mise en place par l’accord de libre-circulation des personnes. Une
dynamique dont tous les acteurs politiques suisses ne semblent pas avoir saisi
l’ampleur et le potentiel.
Dans son principe, l’argument avancé repose sur
un binôme à haut potentiel : la libre-circulation des personnes et l'interdiction de discriminer sur la base de la nationalité. Si les Suisses et les
Européens ont la volonté d’accorder une véritable liberté de circuler, alors il
devrait être interdit de discriminer dans les domaines qui pourraient avoir une
influence sur cette liberté. Le contraire reviendrait à vider de sa substance
l’idée de libre-circulation. En effet, qui serait intéressé à profiter de cette
libre-circulation si les employeurs peuvent traiter différemment les Suisses et
les Européens ou si les conditions-cadres sont plus défavorables aux nouveaux-venus ?
Relativiser l’interdiction de discriminer
serait synonyme d’une libre-circulation incapable de développer son immense
potentiel. Qu’il suffise de jeter un coup sur ses effets au sein de l’UE pour
juger sur pièce. Sur le plan économique, la libre-circulation crée les conditions
permettant aux forces de travail de répondre à un besoin de main-d’œuvre là où
il se fait sentir. Sur le plan politique, elle permet une transformation
progressive des frontières, dessinant une Europe où employeurs et employés se
retrouvent par-delà les appartenances nationales. Peu à peu, la logique de la
nationalité fait place au statut de citoyen européen traité sur un pied
d’égalité.
De manière similaire, la libre-circulation entre
la Suisse et l’UE fait peu à peu apparaître un nouvel espace juridique et
politique. Même si elle est centrée sur la vie économique – seules peuvent
migrer les personnes au bénéfice d’un contrat de travail – la libre-circulation
déploie des effets dans des domaines parfois inattendus, à l’exemple des taxes
universitaires. Par voie de ricochet, le binôme touche alors à tous les
domaines ayant une influence sur l’activité économique.
Prenant acte de ces multiples effets, on peut déplorer
une perte d’indépendance nationale – je propose d’y voir plutôt les premiers
signes tangibles d’un ensemble juridique et politique porté par un idéal de
libertés. Car si la marge de manœuvre nationale se modifie, les citoyens voient
leur horizon d’opportunités et de choix s’élargir.
Johan Rochel