mercredi 28 mai 2008

Une pub qui perd la tête

Lorsqu’elle nous promet monts et merveilles, la pub va parfois trop loin. Qui peut encore croire que ces fabuleuses pilules feront maigrir sans effort et sans changement d’alimentation ? Les slogans exotiques et enjoués se transforment alors souvent en publicité mensongère.
Certains cas vont toutefois encore plus loin, ne craignant plus de dépasser la barrière du compréhensible. A ce propos, deux exemples d’actualité. Comment Ikea, géant mondial de la fourniture de meubles et de décorations d’intérieur, peut-il choisir comme slogan publicitaire « différent comme toujours » ? Dans les faits, Ikea propose à moindres coûts des meubles identiques à l’échelle de la planète. Celui qui fait ses emplettes chez Ikea est quasiment assuré de découvrir sous peu le même objet chez son voisin. Dans ses conditions, comment faire l’éloge de la différence des produits proposés ?
Mon second exemple va à la marque de cigarettes Gauloises. Là encore, la compagnie ne craint pas de dépasser les frontières du simple bon sens en choisissant « liberté toujours » comme motto publicitaire. Comment des cigarettes, symboles s’il en est d’une dépendance, peuvent-elles se prévaloir de mettre en avant la liberté ? Comment oublier que les cigarettes sont spécialement étudiées et conçues pour provoquer une dépendance toujours plus rapide et accrue ? Marlboro et son cowboy arpentant l’Ouest américain avaient au moins le tact de nous présenter quelques belles images.
Où donc cela nous mène-t-il ? Dans ce genre de publicité, les mots utilisés semblent ne plus posséder de sens. Les responsables communication de ces boîtes prennent le pari d’enfouir la réalité sous un fouillis de concepts et de slogans, certes agréables à l’oreille, mais sans rapport aucun avec la réalité. En choisissant cette façon de faire, ils espèrent nous faire avaler une énormité dénuée de toute signification.
Les consommateurs sont-ils dupes ? Ces slogans ont-ils la moindre influence ? Une étude de psychologie pourrait apporter quelques éléments de réponse. Il y a fort à parier que sous l’effet du matraquage et des sommes faramineuses investies en matière de communication, la réalité disparaisse peu à peu sous ce non-sens publicitaire. Perdu au milieu des milliers de personnes se rendant à Ikea chaque semaine, on pense alors acheter l’objet unique, différent comme toujours.

Johan Rochel
www.chroniques.ch

mardi 20 mai 2008

Le futur avec Google: pour le meilleur et pour le pire

A force de simplicité et d’efficacité d’utilisation, la recette Google fait merveille sur le net. Derrière l’image purement utilitaire d’un moteur de recherche intelligent se cache toutefois une puissante machine intrusive. Prenons garde de ne pas l’oublier, car le danger n’est peut-être pas loin.

C'est une success-story comme l'Amérique aime à en offrir régulièrement au monde. Deux surdoués, Sergey Brin et Larry Page, l'allure gentille et cool, démarrent une entreprise sur une simple idée brillante : un moteur de recherche intelligent.
Depuis lors, l'efficacité de Google a été telle que le moteur de recherche a délogé tous ses concurrents. En matière de recherches sur le net, le petit dernier a même pris une part de marché que l'on comparerait volontiers à un quasi-monopole. A l’échelle mondiale, Google attire près de 63% des recherches effectuées sur le net [1]. Compensés par une pratique plus disparate notamment aux Etats-Unis et en Chine (où Baidu enregistre un carton), les chiffres prennent l’ascenseur en terres francophones. En France, c’est 89% des recherches qui sont réalisées sur Google, ne laissant ainsi que quelques miettes à ses concurrents.

Google a su magistralement exploiter notre besoin de simplicité. Il aspire à être le moteur de recherche parfait, apte à comprendre exactement les requêtes des utilisateurs. Google a ainsi réussi un tour de force enviable : devenir le point de passage obligé de centaines de millions d'individus vers l'immense océan du Web.

Un colosse de business

Et pourtant, sous tant de simplicité et de facilité d’usage, se cache un colosse de business. Un système complexe et intrusif qui s’emploie à obtenir la gestion total des connaissances de la toile. L’extraordinaire rapidité des résultats de recherche est le fruit d’une sélection drastique, dénuée de toute transparence.
Le prodige repose sur une technologie opaque, protégée jalousement comme le centre névralgique du géant Google. Nous recevons une preuve tangible de l’existence d’une infinité de résultats possibles à nos recherches lorsque Google révise ses algorithmes. Certaines pages figurant auparavant en tête de liste d’une recherche rétrogradent alors. Autant d’indices qui nous indiquent que, sans transparence quant aux critères utilisés par Google, il est impensable de parler d’une recherche un tant soit peu objective.
Il importe également de souligner que des critères de nature morale ou politique influencent le résultat des recherches. Aujourd’hui par exemple, Google ne permet pas de découvrir des fichiers à caractère pédophile en entrant seulement « photos + pédophile ». Imaginons une recherche sur le thème « avortement ». Que dire si Google ne trouve – le terme choisit serait plus à propos – que des pages anti-avortement car il a été programmé selon l’idée que l’avortement est moralement condamnable ? L’exemple de Google en Chine, où quantité de pages restent inaccessibles aux utilisateurs, nous offre un exemple grandeur nature de la facilité avec laquelle une telle censure s’opère.

Google ne saurait se comprendre hors de sa dimension commerciale. A chaque recherche, le moteur « dépose » un cookies – sorte de petite mémoire où sont conservés les mots recherchés ou les pages visitées – et l’associe à chaque adresse IP. En plus de son seul moteur de recherche, la stratégie Google doit être appréhendée sous une forme globale. Les dizaines de services gratuits proposés, propres à satisfaire nos moindres besoins d’utilisateurs, travaillent à l’unisson. Sans faire grand bruit, Google amasse ainsi un maximum d’informations sur ses utilisateurs : âge, sexe, profession, centres d’intérêt, les lieux qui nous intéressent, les personnes que nous contactons. Science fiction totalitaire ? Loin s’en faut, il s’agit pour l’heure d’un pur intérêt commercial.

Intrusion dans la vie privée ?


Cette somme de renseignements sera ensuite rangée et classée selon différents critères. Ainsi, Google peut par exemple obtenir une statistique relativement précise sur une région ou sur un pays. Afin de voir la pointe de l’iceberg, le coup d’oeil sur l’outil fourni par la firme elle-même à l’adresse http://www.google.com/trends vaut le détour. Il permet de découvrir très précisément combien de recherches pourtant sur n’importe quel thème ont été effectuées dans telle région du monde. Nous laissons au lecteur le soin d’imaginer quelle somme incroyable d’informations Google possède sur chacun de ses utilisateurs.
A chaque pas sur le net, le moteur acquière donc toujours plus de données sur nos habitudes et nos intérêts. Cette stratégie permet à la société de vendre des informations nous concernant à d’autres entreprises et de nous présenter une publicité de plus en plus ciblée. En estimant un marché de la publicité mondiale aux environs de 700 mia de US$[2], dont environ 10% sont réalisés sur le net, la part occupée par Google se situerait entre 22 et 28% ! Même s’il s’avère extrêmement difficile de trouver des estimations solides et que les présentes estimations sont à prendre avec des pincettes, cela signifierait que Google accapare plus d’un cinquième des recettes publicitaires générées en ligne à l’échelle du globe ! Tout cela compte tenu du fait que le géant Google vit à presque 100% de recettes publicitaires, se montant aux dires de la firme à près de 16 mia US$[3]. L’intérêt de cette estimation se résume dans l’ordre de grandeur qu’elle offre sur la taille et le poids du géant Google en termes publicitaires.
Si la tendance actuelle de voir la publicité de déplaçait toujours plus vers le net se confirmait, Google deviendrait un acteur toujours plus gigantesque, contrôlant une part disproportionnée des investissements publicitaires. La concentration d’une telle masse d’informations sans réelle possibilité de contrôle et de contre-pouvoir peut déboucher sur des situations extrêmement problématiques. Le risque de voir notre liberté peu à peu limitée doit être pris au sérieux. Pour le bien de l’utilisateur, Google pourrait par exemple restreindre peu à peu ses résultats aux pages qu’il estime correspondre aux goûts bien particuliers de chacun, le tout sur la base d’informations que nous lui avons volontairement transmises. Une publicité sans cesse plus ciblée pourrait rapidement devenir synonyme d’intrusions insupportables dans la sphère privée.

Google, maître du monde à venir ?

Va-t-on vers la catastrophe ? A supposer qu’elle existe, la concurrence entre plusieurs moteurs de recherche pourrait être à même de résoudre certains des problèmes mentionnés ci-dessus. L’utilisateur serait ainsi amené à réaliser une même recherche sur plusieurs moteurs, puis à comparer les différents résultats afin de réaliser sa propre synthèse. Le traçage des informations serait également rendu plus difficile par cette concurrence.
En vue d’obtenir le résultat le plus complet pour sa recherche, l’intérêt de l’utilisateur ne peut qu’apparaître que si celui-ci réalise des recherches croisées. La manœuvre suppose toutefois un utilisateur éclairé et conscient des points d’ombre propres à chaque moteur, suffisamment motivé pour investir son temps dans une recherche multiple et rendre plus difficile la récolte d’informations le concernant.
Sans dénier tout espoir de concurrence, il y a fort à parier que le talent de Google à rendre la vie de l’internaute toujours plus facile ne lui permette encore de rester le grand patron du net à moyen terme. Car la force d’innovation du géant ne diminue pas, bien au contraire. La prochaine étape de son développement est d’ores et déjà engagée. Afin d’être en mesure de placer un volume de publicité en pleine croissance, Google va peu à peu sortir du seul vecteur en ligne. Il a notamment déjà tenté de s’inviter dans les médias « classiques », à savoir les journaux ou la télévision.
D’autres projets sont d’un intérêt central pour notre propos. Google a déjà développé un modèle de téléphone portable, appelé sans équivoque possible Android. Son but est clair : mettre à disposition des utilisateurs un outil de très bonne facture, à faibles coûts, et forcément programmé pour favoriser les applications Google. L’autre exemple du GPS qu’il envisage de mettre sur le marché offre un autre exemple. Pour acquérir un excellent engin à bas prix, l’utilisateur acceptera de voir figurer des publicités Google sur son GPS. A terme, il n’est pas difficile d’imaginer un GPS ne laissant apparaître que les hôtels ou restaurants ayant dûment réalisé leur pub sur Google. L’intrusion dans la sphère privée qui s’opère actuellement en ligne s’invitera alors de plein pied dans la « vraie vie », influençant encore plus qu’aujourd’hui la vie des gens et des entreprises.


Johan Rochel, Etudiant en philosophie politique, Université de Berne, http://www.chroniques.ch/
Avec l'aimable collaboration de G. Meynet

Publié dans le Magazine "Le vendredi", 16 mai 2008

[1] Source : http://www.journaldunet.com/cc/03_internetmonde/intermonde_moteurs.shtml, 2008
[2] Source : youthxchange.com
[3] Pour l'année 2007, 96% des revenus du géant proviennent de la publicité soit un revenu de 16.5 mia US$. Source : chiffres officiels fournis par Google.

mardi 13 mai 2008

La démocratie se trompe de place

Partout en Suisse, cette unique affiche de mains bigarrées (et uniquement masculines !) pillant les passeports à croix blanche. Une fois de plus pour l’UDC, une (très) mauvaise réponse à un questionnement légitime : celui des conditions d’obtention de la nationalité helvétique.
Depuis le début de la campagne, l’UDC présente trois arguments. Premièrement, il y aurait trop de naturalisations. On peut débattre des heures durant de ce « trop », le fait est qu’il est à mettre sur le compte de mouvements d’immigration datant d’avant 2000 et de certains changements législatifs (droit à la double nationalité). En un mot, les naturalisations d’aujourd’hui sont le résultat d’une procédure d’intégration suivant normalement son cours. Par rapport au taux d’étrangers dans la population, la Suisse naturalise bien moins que ses voisins européens, à l’exception de l’Allemagne. Il est donc doublement faux d’utiliser les chiffres absolus du nombre de naturalisations dans le débat actuel !
Deuxièmement, l’UDC prétend que les naturalisations par les urnes fonctionnent à merveille depuis les débuts d’une Suisse fantasmée, faite de Landsgemeinde et de démocratie directe. Cet argument aux relents passéistes ne tient pas. Le Tribunal fédéral a cassé des pratiques ouvrant la porte à l’arbitraire et au possible délit de sale gueule. Qu’importe depuis combien de temps elles avaient cours, elles sont incompatibles avec un Etat de droit.
Troisièmement, l’initiative se trompe de place pour la démocratie. En amont de la procédure de naturalisation, il est tout à fait légitime de proposer un débat démocratique sur les critères d’admission. Pourquoi ne pas décider qu’il faut au moins habiter 20 ans en Suisse et connaître l’hymne national en romanche pour prétendre devenir suisse ? C’est sans aucun doute le peuple qui doit avoir le dernier mot sur ces questions.
Il en va tout autrement avec la décision finale d’accorder la nationalité (qui sera laissée au libre choix des communes selon le texte de l’initiative, et qui pourrait donc être décidée devant le peuple). En connaissance des critères choisis par le souverain, l’étranger va tenter de s’intégrer le mieux possible. S’il remplit l’ensemble des conditions, le passeport à croix blanche devrait lui être délivré, en signe de réussite de son intégration.
Même dans ce cas, si certains éléments l’exigent, le passeport peut lui être refusé. Il n’est toutefois pas admissible que des personnes lui refusent ce droit de manière arbitraire et parfois discriminatoire, sans présenter de justification et sans procédure de recours. Et c’est sur ce point que la différence avec une élection est essentielle. Il n’existe pas de critères pour devenir élus (si ce n’est être suisse et majeur), mais il en existe pour devenir suisse. Celui qui les remplit jouit d’un droit à la naturalisation, à moins que certains éléments ne l’en empêchent expressément. Et si ce droit lui est refusé, la décision doit être dûment motivée et sujette à la possibilité de recours, à la différence de l’élection, où le droit d’être choisi n’existe pas.

Johan Rochel
www.chroniques.ch
Publié dans le Magazine "Le Vendredi", 16 mai 2008