mardi 13 mai 2008

La démocratie se trompe de place

Partout en Suisse, cette unique affiche de mains bigarrées (et uniquement masculines !) pillant les passeports à croix blanche. Une fois de plus pour l’UDC, une (très) mauvaise réponse à un questionnement légitime : celui des conditions d’obtention de la nationalité helvétique.
Depuis le début de la campagne, l’UDC présente trois arguments. Premièrement, il y aurait trop de naturalisations. On peut débattre des heures durant de ce « trop », le fait est qu’il est à mettre sur le compte de mouvements d’immigration datant d’avant 2000 et de certains changements législatifs (droit à la double nationalité). En un mot, les naturalisations d’aujourd’hui sont le résultat d’une procédure d’intégration suivant normalement son cours. Par rapport au taux d’étrangers dans la population, la Suisse naturalise bien moins que ses voisins européens, à l’exception de l’Allemagne. Il est donc doublement faux d’utiliser les chiffres absolus du nombre de naturalisations dans le débat actuel !
Deuxièmement, l’UDC prétend que les naturalisations par les urnes fonctionnent à merveille depuis les débuts d’une Suisse fantasmée, faite de Landsgemeinde et de démocratie directe. Cet argument aux relents passéistes ne tient pas. Le Tribunal fédéral a cassé des pratiques ouvrant la porte à l’arbitraire et au possible délit de sale gueule. Qu’importe depuis combien de temps elles avaient cours, elles sont incompatibles avec un Etat de droit.
Troisièmement, l’initiative se trompe de place pour la démocratie. En amont de la procédure de naturalisation, il est tout à fait légitime de proposer un débat démocratique sur les critères d’admission. Pourquoi ne pas décider qu’il faut au moins habiter 20 ans en Suisse et connaître l’hymne national en romanche pour prétendre devenir suisse ? C’est sans aucun doute le peuple qui doit avoir le dernier mot sur ces questions.
Il en va tout autrement avec la décision finale d’accorder la nationalité (qui sera laissée au libre choix des communes selon le texte de l’initiative, et qui pourrait donc être décidée devant le peuple). En connaissance des critères choisis par le souverain, l’étranger va tenter de s’intégrer le mieux possible. S’il remplit l’ensemble des conditions, le passeport à croix blanche devrait lui être délivré, en signe de réussite de son intégration.
Même dans ce cas, si certains éléments l’exigent, le passeport peut lui être refusé. Il n’est toutefois pas admissible que des personnes lui refusent ce droit de manière arbitraire et parfois discriminatoire, sans présenter de justification et sans procédure de recours. Et c’est sur ce point que la différence avec une élection est essentielle. Il n’existe pas de critères pour devenir élus (si ce n’est être suisse et majeur), mais il en existe pour devenir suisse. Celui qui les remplit jouit d’un droit à la naturalisation, à moins que certains éléments ne l’en empêchent expressément. Et si ce droit lui est refusé, la décision doit être dûment motivée et sujette à la possibilité de recours, à la différence de l’élection, où le droit d’être choisi n’existe pas.

Johan Rochel
www.chroniques.ch
Publié dans le Magazine "Le Vendredi", 16 mai 2008

3 commentaires:

Fabien a dit…

Bravo!
Pan dans les dents!
J'ai rien à redire, et je ne comprends pas comment on pourrait objecter à ces arguments pleins de bon sens!

fabien girard a dit…

Hello à tous!

en annexe un petit lien de l'émission de la TSR sur les nouveaux faiseurs de suisses!
(si vous ne l'avez pas encore visionnée!)

Remarquez l'argumentation des habitants du village... ou plutôt essayez de trouver une argumentation plus ou moins cohérente!

Arrive une question fondamentale pour tout politicien (et prochain article pour Jo): Quelle est la motivation d'un parti politique d'avoir un électorat de ce type? un politicien digne du nom n'aurait-il pas honte d'être soutenu par ce type d'électorat?

http://www.tsr.ch/tsr/index.html?siteSect=500000&channel=#bcid=582009;vid=9066564

a+
fabien

Johan Rochel a dit…

Salut Fabien,

Je ne vais pas dans ton sens sur ta dernière remarque.
Il faut réflechir dans le sens "inverse", je pense. C'est-à-dire que chaque citoyen avec ses idées - pour autant qu'elles soient dans les limites de la légalité - a le droit de se faire représenter, pour autant qu'il réunisse quelques personnes autour de lui, de manière à pouvoir élire un représentant.
Il y a un immense danger pour une démocratie à laisser non représentés dans les instances décisionnelles des groupes de population déterminés. Pour fonctionner de manière légitime, la système démocratique se doit d'englober le maximum d'intérêts existant. Cela est encore plus valable en Suisse, vu que les groupes non représentés ont les moyens de bloquer le système via les outils de la démocratie semi-directe (referendum, initiative,...).

Cela ne signifie toutefois pas qu'il est de circonstances d'adopter une attitude "d'acceptation": il faut tenter de convaincre les personnes qui veulent ouvrir la porte à un possible délit de sale gueule !