mardi 29 novembre 2011

Et si le Parlement se mourrait?


Pourquoi se donner la peine de lire un énième billet d’opinion sur les élections au Conseil fédéral du 14 décembre ? Les pronostics relèvent de la charlatanerie et les réflexions plus abouties sur l’avenir de la concordance n’ont que peu souvent voix au chapitre. Que retient alors le grand public de ces tractations obscures, de ces arrangements de coulisse et de ces coups de couteaux – fort longs – lâchés dans l’ombre de l’amitié politique ? Pour beaucoup, c’est l’image d’un Parlement aux airs de cour d’école qui s’impose. La rumeur gronde et la vénérable institution démocratique se retrouve sous les feux croisés des critiques. Ces voix relèvent parfois d’une attention démocratique fort à propos : les citoyens méritent d’être informés sur les choix des élus bernois. 

Mais la critique adressée au Parlement est plus profonde que ces élections au Conseil fédéral  et ses motifs peut-être moins nobles. A bien des égards, c’est la distinction entre légitimité directe et indirecte qui est mise sous pression sous couvert de la toute-puissante démocratie directe. Pour bien des détracteurs du Parlement, la légitimité de tout acte politique – nouvelle législation, choix de personnel, élection des 7 « sages » - se mesure à l’aune du peuple. Lui seul semble capable de dispenser l’onction démocratique. Quelle belle image d’Epinal que le peuple assemblé, décidant sans intermédiaire de ses conditions de vie ! Si l’appel à la Landsgemeinde nationale n’est pas loin, cette vision de la démocratie directe participe également d’un mouvement visant la « classe politique ». Définie par opposition au peuple – et non comme assemblée de représentants élus – cette classe de magouilleurs est alors présentée comme une entrave à la démocratie.

Mes critiques décriront une interprétation exagérée. Néanmoins, deux initiatives populaires visant à changer les compétences du Parlement devraient nous inciter à prendre au sérieux ce développement. Premièrement, l’élection du Conseil fédéral par le peuple renvoie directement à ce mouvement « anti-Parlement ». L’Assemblée fédérale, composée de parlementaires élus dans les cantons, se voit émasculée de sa compétence de choisir l’exécutif. C’est tout l’assemblage institutionnel qui doit alors être repensé. Deuxièmement, l’initiative « Les traités internationaux devant le peuple » – sur laquelle le peuple votera en juin 2012 – veut soumettre de nouvelles catégories de traités internationaux au choix populaire. Pour l’heure, le Parlement fonctionne comme instance de légitimation, le peuple pouvant faire usage du referendum facultatif au besoin. A nouveau, la légitimité du Parlement est remise en cause au profit d’un lien plus direct. Cette tendance est-elle réjouissante ? Faut-il s’en prémunir ? Ces questions demandent une analyse autrement plus poussée – commençons par mettre le doigt sur cette tendance.  

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Johan Rochel

vendredi 18 novembre 2011

L’appel du drapeau : plaidoyer pour un nouveau paradigme


L’obligation de servir occupe les esprits. Pierre Maudet – agissant au nom de la Commission fédérale pour l’enfance et la Jeunesse (CFEJ) – a présenté il y a peu son rapport sur l’obligation de servir, sobrement intitulé « Le contrat citoyen ». La réaction de votre serviteur, publiée dans Le Temps du 31 octobre 2011 – disponible sur le blog) n’a pas manqué de provoquer quelques réactions. Bon gré mal gré, cette discussion publique doit être encouragée. En effet, l’initiative pour l’abrogation de la conscription obligatoire menée par le GSSA sera bientôt déposée à la chancellerie fédérale. D’ici à trois ans, le peuple suisse se prononcera sur cette question. 

La question qui se pose n’est pas celle de l’existence de l’armée, mais bien celle de l’obligation de servir pour l’ensemble des citoyens. A titre d’exemple, une armée professionnelle signifierait le premier sans le second. A ce titre, on peut reprocher au rapport Maudet d’avoir pris le cadre légal actuel (l’obligation de servir au sens de la Constitution) comme point de départ. En effet, cet aspect absolument fondamental mérite une discussion des plus approfondies. La question est loin d’être seulement théorique ; il en va tout de même de la justification d’un sacrifice de 9 mois (temps moyen passé sous les drapeaux par un soldat) pour l’ensemble des citoyens masculins !

Trop souvent, les argumentaires mélangent effets secondaires souhaitables et souhaités (ciment national, rencontre des cultures, expérience sociale), paternalisme (inculcation de « valeurs » à une jeunesse par trop déboussolée) et arguments sérieux pour l’obligation de servir. L’argument le plus fort – qui coïncide avec la mission principale de l’armée – relève de la défense du pays. Mais hors périodes de tensions accrues, ce danger immédiat pour la nation n’est pas un argument très fort. Il justifie bien l’existence de l’armée, mais pas la conscription obligatoire. L’argument démocratique lié à un recours excessif à la « tradition » – 63% des Suisses seraient favorables à l’obligation de servir – a lui aussi ses limites. Est-il acceptable qu’une majorité oblige une minorité (les jeunes hommes) à l’obligation de servir ? A titre d’exemple, cette même population pourrait-elle sans autre décider, via un vote souverain,  d’instaurer un « service civique obligatoire » pour tous les hommes retraités ? Vu que des arguments en tous points similaires au service militaire pourraient être utilisés, cette analogie devrait nous mettre la puce à l’oreille : cette obligation serait-elle légitime ?   

L’épreuve du feu de cette justification pointe le bout de son nez en toute fin du rapport concocté par Maudet : les femmes ! Supposons que l’obligation de servir puisse encore être légitimée, comment justifier qu’elle ne touche que les hommes ? L’argumentation passe souvent d’une description du partage des tâches actuelles en société  ( par ex. les femmes ont encore souvent la garde des enfants et font beaucoup de bénévolat) à des injonctions moralisatrices ( par ex. nécessité d’enfanter face au déclin démographique) et participent du même coup au bétonnage des rôles sociaux. Les libéraux de cœur ne peuvent se résoudre à accepter cela. 

De manière particulièrement frappante, cette question féminine démontre que l’argumentaire classique pour l’obligation de servir est peu satisfaisant. A ce titre, il est particulièrement intéressant de noter que la justification de servir dans l’armée ne peut être la même que l’obligation de servir au service civil. En effet, l’appel à la défense de la patrie ne peut pas être utilisé dans le cadre d’un argument sur le service civil. Il n’est dès lors pas étonnant que le rapport Maudet s’appuie sur l’idée d’un « contrat » de société. Mais ce recours à l'idée de contrat ne résout pas toutes les difficultés, loin s'en faut. En effet, comme noté ci-dessus sur l'argument démocratique, c'est la légitimité de ce contrat de société qui est en jeu. Mais le point important reste qu'il importe de discuter la source de cette obligation tout en gardant en tête que chacune des obligations de servir (armée ou service civil) appelle une justification spécifique

Cette discussion fondamentale sur l'obligation de servir ne doit pas éclipser la nécessité de mesures immédiates. Tout à l’inverse ! Il est absolument central que les décideurs suisses trouvent une façon de rendre crédible l’obligation de servir, tant que celle-ci est en vigueur. A court terme et selon les plans dessinés par le Parlement et le Conseil fédéral, l’armée sera en situation de sureffectif marqué. Dans une classe d’âge, près de 30% des jeunes hommes n’effectuent pas leur service militaire. Il est insupportable de penser que certains continuer en toute impunité à user de méthodes douteuses pour échapper à l’obligation de servir. En effet, y’a-t-il valeur plus fondamentale que l’égalité devant la loi ?

Quant aux formes de service, il est grand temps de compléter l’équivalence entre service civil et armée. Les durées de service doivent être égalisées. Comme le défend le rapport Maudet, seul un véritable choix entre les deux options apparaît justifiable. L’argument selon lequel l’armée aurait alors des difficultés à recruter les « bons » éléments paraît difficilement acceptable. Premièrement, cette sélection par une obligation plus que poreuse a pour conséquence première une violation massive de l’égalité des chances. Outre le manque de respect des institutions, tous n’ont pas la même chance d’accéder à un médecin conciliant. Deuxièmement, cet argument pointe du doigt un drôle de paradoxe. Les aspects positifs de l’expérience militaire sont sans cesse vantés, mais ils disparaissent totalement lorsque l’on parle de la capacité de l’armée à attirer les bonnes recrues et futurs officiers. Si ces points positifs étaient si forts, les jeunes gens se détourneraient-ils de l’armée ? Quoiqu’il en soit, il  relève clairement de la responsabilité de l’armée de créer des incitatifs pour attirer les meilleurs.  

Johan Rochel
www.chroniques.ch