vendredi 16 décembre 2011

Le Parlement à l’épreuve de sa propre légitimité

Article écrit avec Sebastian Justiniano, foraus - Forum de politique étrangère


Cette année encore, les incertitudes sur l’élection du Conseil fédéral ont pesé de tout leur poids sur la machine politique suisse. Pour beaucoup, le grand souk fédéral s’apparente au final à un exercice lassant et nombreux sont ceux qui poussent un grand ouf de soulagement après ce marathon politique. Cette lassitude ne restera toutefois pas inexploitée. Les promoteurs de l’initiative populaire pour l’élection du Conseil fédéral par le peuple ne manqueront pas de la faire fructifier en capital politique. D’où l’importance d’une réflexion sérieuse et ambitieuse sur la légitimité de l’élection du Conseil fédéral par le Parlement et les rapports entre ces deux organes et les citoyens. Préparer une élection 2015 plus sereine, c’est comprendre à quelle logique répond le système actuel et se demander pourquoi le Parlement est la meilleure instance pour cette délicate mission. 

De la logique intégrative de notre système politique

Pour bien comprendre les enjeux de l’élection du Conseil fédéral, il faut poser la question de la condition institutionnelle de cette élection. L’élément le plus important s’avère être les instruments de démocratie directe. La possibilité pour 50'000 citoyens de remettre en question une décision fédérale et pour 100'000 citoyens de déposer une initiative populaire obligent le Conseil fédéral et le Parlement à tenir compte des forces politiques en présence. Comme l’a montré l’après Deuxième Guerre mondiale – où les socialistes ont quitté le Conseil fédéral entre 1953 et 1959 – les partis importants qui seraient laissés en marge ont la capacité de bloquer la machine politique. En d’autres termes, les outils de démocratie directe exercent une force intégrative très forte. La consultation du plus grand nombre est inscrite dans l’ADN du système politique que ce soit dans le cadre du Parlement, du Conseil fédéral ou plus largement dans les droits populaires dont nous jouissons.

Une courroie de transmission politique

C’est sous cette condition institutionnelle fondamentale que le Parlement doit s’acquitter de sa mission élective du Conseil fédéral. Le Parlement est certainement l’instance la plus à même de répondre à ce défi car il est le seul à pouvoir fonctionner comme courroie de transmission politique. En plus de sa légitimité démocratique directe et respectueuse de la diversité des cantons, le Parlement est l’instance la plus capable d’intégrer dans un vaste mécanisme de consultation une diversité de paramètres : la couleur politique, la langue, le sexe, la profession, les intérêts ou encore l’origine sociale. En transmettant une exigence de représentativité, la courroie participe profondément de la légitimité et de l’efficacité du collège fédéral. A l’inverse, le vote populaire ne permettrait que de manière très imparfaite une telle prise en compte globale. 

Une vision idyllique ?

En théorie, le système fonctionne à merveille. La période entre les élections fédérales et ce 14 décembre a pourtant montré une facette moins rayonnante de la politique fédérale : arrangements de coulisses, tractations obscures, rapports de force exacerbés. Ces problèmes ne peuvent et ne doivent surtout pas être niés. Dans ce contexte, il relève de la responsabilité des partis et des élus de ne pas galvauder ce moment démocratique et de placer le choix du collège au-dessus des intérêts partisans. 
Au-delà de ces défis, le génie de la machine helvétique se lit sur le moyen ou le long terme. Si la logique intégrative a poussé à l’entrée d’un 2ème UDC au Conseil fédéral en 2003 (Blocher contre Metzler), cela ne signifie en aucun cas que ce résultat spécifique (2+2+2+1) est maintenant gravé dans le marbre. L'élection de ce mercredi l'a montré, même si, à terme, le retour au 2+2+2+1 apparaît en tous les cas possibles. Si la formule magique a surtout fonctionné avec une clef de répartition arithmétique et proportionnelle (force politique => nombre de sièges), elle est à même d’intégrer d’autres éléments. La magie de la formule réside ainsi plus profondément dans sa fantastique capacité d’intégrer les éléments les plus importants de la politique suisse, donnant ainsi au Conseil fédéral les moyens d’assurer sa mission primaire, gouverner. Les incertitudes des dernières années traduisent sans doute une phase d’adaptation dans la nécessaire intégration des forces politiques possédant un poids et une volonté suffisants pour garantir le fonctionnement de nos institutions.

Sebastian Justiniano, foraus– Forum de politique étrangère
Johan Rochel, foraus– Forum de politique étrangère

lundi 12 décembre 2011

10 décembre : la politique suisse des droits de l’homme en mouvement


Publié sur le blog du foraus - Forum de politique étrangère le 10 décembre 2011

A quelques jours de l’élection au Conseil fédéral, la journée mondiale des droits de l’homme offre l’occasion de mettre en perspective la décennie de politique des droits humains de Micheline Calmy-Rey. L’heure est à la redéfinition.

Ce 10 décembre a un goût particulier pour la politique suisse des droits de l’homme. D’une part, cette journée mondiale des droits de l’homme sera la dernière en fonction de Micheline Calmy-Rey. Pour une ministre des affaires étrangères dont l’intérêt pour les droits « humains » ne s’est jamais démenti, la date est particulièrement symbolique. D’autre part, le brassage des cartes au Conseil fédéral et la future succession Calmy-Rey interrogent la pertinence d’une décennie de politique étrangère largement orientée sur et vers les droits de l’homme.
Si l’engagement de la Ministre a été constant, la politique des droits de l’homme continue à avancer à tâtons dans la pratique fédérale, cherchant encore sa place au cœur de notre système juridico-politique. Longtemps présentés comme un outil de première importance pour la politique suisse des droits de l’homme, les dialogues sur les droits humains sont un exemple particulièrement paradigmatique de cette quête de sens. En effet, cet instrument traverse actuellement une profonde phase de redéfinition. Les dialogues bilatéraux que nous entretenions par exemple avec la Chine, le Vietnam ou l’Iran vont être redessinés au profit d’une approche plus globale et cohérente.
Comme le montre l’étude « Dialogue sur les droits humains – Quo vadis ? », présentée en ce 10 décembre par le foraus – Forum de politique étrangère, cette réorientation peut être une chance à plusieurs égards. Outre une communication plus transparente sur les objectifs et les moyens de notre politique des droits de l’homme, ce nouveau départ offre l’opportunité de renforcer notre collaboration avec nos alliés naturels, en première ligne l’UE et d’autres Etats partageant une vision commune sur l’importance des droits de l’homme. En filigrane apparaît également une volonté d’ancrer de manière plus systématique les droits de l’homme dans toutes les questions de politique étrangère.

Une nouvelle donnée essentielle
Cette reconnaissance de l’importance essentielle des droits de l’homme pour notre politique étrangère s’inscrit dans un mouvement de fond. Depuis 1993 – date de publication du premier rapport véritablement stratégique pour la politique étrangère de l’après Guerre froide – on ne saurait assez souligner l’importance systémique qu’ont pris les droits de l’homme dans notre cadre juridique et politique. Les plus enthousiastes n’hésiteraient pas à affirmer que notre univers intellectuel moderne est porté par cette idée de droits fondamentaux accordés à tous sur leur seule qualité d’être humain. Si la pratique est bien sûr loin d’être parfaite, il n’en demeure pas moins une base éthico-juridique solidement implantée. En matière internationale par exemple, il n’est plus guère possible de penser une légitimité dépourvue de respect des droits de l’homme. Les récents développements relatifs à la « responsabilité de protéger » renvoient à cette clef de lecture : la légitimité est devenue indissociable des droits de l’homme. Pour les Etats comme pour les organisations internationales, hors des droits de l’homme, point de salut.
En politique étrangère suisse, cette importance croissante s’étend avant tout de manière transversale. Si la politique des droits humains était il y a eu peu encore l’apanage de nos actions à caractère humanitaire ou l’objet d’interventions spécifiques et ponctuelles, les vieilles barrières historiques tombent peu à peu. Longtemps chasse gardée du business as usual, la politique étrangère économique se jauge aujourd’hui également à l’aune des droits de l’homme. De manière particulièrement paradigmatique, c’est le plus souvent la meilleure manière de mettre en œuvre ces considérations qui pose problème – par exemple l’opportunité d’inclure une clause droits de l’homme dans un accord de libre-échange – mais ce n’est plus la légitimité de la question des droits de l’homme en matière économique.
Poser la question de l’après-Calmy-Rey en terme de poursuite d’une politique des droits de l’homme est donc partiellement faux. Le respect des droits de l’homme s’est installé au cœur de notre politique étrangère et ne saurait en être délogé. A ce titre, le défi de la succession Calmy-Rey pourrait bien être de renforcer la cohérence pratique de cette nouvelle donne.

Johan Rochel, vice-président foraus - Forum de politique étrangère