lundi 20 avril 2009

Et si tout cela ne coûtait rien ?

Dans nos trains, sur nos sols et dans nos habitudes, les journaux gratuits se sont solidement implantés. Au quotidien, nous feuilletons ces pages colorées et (parfois) distrayantes. En parallèle, notre connectivité devenue permanente aux milliers de pages du net – via laptop, natel et autre Iphone - nous offre également un accès à un flot à peine concevable d’informations. Outre leur facilité d’accès, quel point commun partagent ces deux sources de connaissances ?

La réponse n’a rien de renversant : les deux sont gratuites. Et que cette réponse ne surprenne pas le lecteur – au pire, elle pourrait même le décevoir vu son manque d’originalité – est symptomatique d’une impression selon laquelle l’information ne se payerait plus. Le corollaire de cette impression est tout trouvé : l’envie de ne plus débourser pour s’informer.
Et cette réaction n’est pas dénuée de fondement. Les grands journaux d’ici et d’ailleurs (Le Temps, la NZZ ou encore le New-York Times par exemple) ont rendu l’accès à leurs colonnes entièrement gratuit. Moyennant une simple inscription, on découvre en quelques clics le travail des meilleurs journalistes et éditorialistes que compte ce petit monde.

Cette impression de gratuité semble être à la base d’un cercle malsain. Puisque les gens ne sont plus prêts à payer pour une information de qualité, les journaux format papier se retrouvent sous une forte pression et, à terme, la survie de certains d’entre eux pourrait s’avérer compromise.
Le risque est grand de voir le débat s’enliser entre pourfendeurs des gratuits et consommateurs quotidiens du « Bleu ». La question n’est pas d’être pour ou contre les gratuits. Bien plus fondamentalement, il en va de la définition d’une information de qualité, à mon sens synonyme de travail journalistique et éditorial appliqué, capable de rendre la réalité dans ses nuances et finesses. Tout à l’inverse des gratuits, qui ne transmettent qu’une information brute, incapable de poser les bases d’un débat public.
Cette question de qualité amène à se demander quel genre d’information nous souhaitons. Puis, dans un deuxième temps, de poser la question du genre d’information dont une démocratie vivante et solide a besoin. Une fois en possession de réponses satisfaisantes à ces quelques interrogations de base, nous pourrons nous tourner vers la question qui fâche : quel prix sommes-nous prêts à payer pour cette qualité d’information ?
Aux Etats-Unis, le débat public autour de ces questions est engagé depuis plusieurs années déjà. Qu’attendons-nous ?

Johan Rochel
www.chroniques.ch

mardi 7 avril 2009

Le Pape et le monde (non) idéal

Beaucoup d’encre a coulé suite aux propos du Pape sur le préservatif. Il y a donc quelque chose d’un peu présomptueux à ajouter une énième chronique à ce flot quasi unanime de critiques. Si la présente carte blanche devait apporter une analyse marquée d’un brin d’originalité, sont but serait atteint.
Les philosophes, férus de théories vibrantes, ont développé une réflexion autour du problème où semblent s’être empêtrés les propos du Saint-Père. D’un coté, il convient de développer des principes et des théories morales pour un monde idéal, c’est-à-dire un monde doté de suffisamment de ressources, où tous les individus respectent parfaitement les principes proposés par les philosophes bien intentionnés. En d’autres mots, des principes parfaits pour des citoyens parfaitement à l’écoute.

D’un autre côté, les philosophes tentent de s’approcher de la réalité en développant des théories pour un monde non idéal. Dans ce monde, les individus ne respectent qu’imparfaitement les principes proposés.
A titre d’exemple, imaginons le principe moral suivant : chacun doit se comporter en prenant en compte son prochain. Dans un monde idéal, tous respecteraient parfaitement ce principe. Dans le monde non idéal, chacun se comporterait ainsi jusqu’à un certain point, puis deviendrait égoïste.

Le monde idéal a pour mission de « montrer le chemin ». Il indique à quoi ressemblerait une société respectant certains principes et s’interroge sur la viabilité et l’intérêt d’une telle société. Sa portée est donc essentiellement critique. Par contre, le monde non idéal est plus proche des réalités : il permet de formuler des propositions concrètes, applicables à la réalité telle que nous la connaissons.

Venons en au Pape. En affirmant que le préservatif n’est pas une solution et qu’un rigoureux mélange d’abstinence et de fidélité serait à même de résoudre le problème du sida en Afrique, le Saint-Père inscrit ses propos dans un monde idéal. Il formule des principes qui sont cohérents et fonctionnels dans un monde parfait où chacun les respecterait à la lettre. Comme expliqué auparavant, ces principes ont toutefois une vertu essentiellement critique, en ce sens qu’ils indiquent dans quelle direction devrait se développer le monde.
Le Pape commet une erreur lorsqu’il transforme ses considérations idéales en recettes pratiques pour un monde non idéal. Il y a confusion des « genres ». Les individus d’Afrique ou d’ailleurs ne respectent pas toujours les principes moraux, ils ne sont pas toujours fidèles et de loin pas abstinents. Formuler des principes pour le monde réel sur des bases entièrement faussées (ou sur des phantasmes, en espérant que les gens deviennent ainsi) conduit à des désastres, diamétralement éloignés du monde idéal que l’on visait au premier lieu.

Cette explication s’inscrit peut-être dans un problème plus vaste. Depuis le début de son règne papal, Joseph Ratzinger semble avoir oublié qu’il n’était plus le docte théologien, professeur d’université redouté, qu’il était avant sa consécration. En tant que Pape, il se doit d’être une figure politique, capable de proposer des solutions adaptées à un monde qu’il peut rêver de transformer en idéal, mais dont les traits fondamentaux restent pour l’heure non idéaux.

Johan Rochel
www.chroniques.ch