mardi 7 avril 2009

Le Pape et le monde (non) idéal

Beaucoup d’encre a coulé suite aux propos du Pape sur le préservatif. Il y a donc quelque chose d’un peu présomptueux à ajouter une énième chronique à ce flot quasi unanime de critiques. Si la présente carte blanche devait apporter une analyse marquée d’un brin d’originalité, sont but serait atteint.
Les philosophes, férus de théories vibrantes, ont développé une réflexion autour du problème où semblent s’être empêtrés les propos du Saint-Père. D’un coté, il convient de développer des principes et des théories morales pour un monde idéal, c’est-à-dire un monde doté de suffisamment de ressources, où tous les individus respectent parfaitement les principes proposés par les philosophes bien intentionnés. En d’autres mots, des principes parfaits pour des citoyens parfaitement à l’écoute.

D’un autre côté, les philosophes tentent de s’approcher de la réalité en développant des théories pour un monde non idéal. Dans ce monde, les individus ne respectent qu’imparfaitement les principes proposés.
A titre d’exemple, imaginons le principe moral suivant : chacun doit se comporter en prenant en compte son prochain. Dans un monde idéal, tous respecteraient parfaitement ce principe. Dans le monde non idéal, chacun se comporterait ainsi jusqu’à un certain point, puis deviendrait égoïste.

Le monde idéal a pour mission de « montrer le chemin ». Il indique à quoi ressemblerait une société respectant certains principes et s’interroge sur la viabilité et l’intérêt d’une telle société. Sa portée est donc essentiellement critique. Par contre, le monde non idéal est plus proche des réalités : il permet de formuler des propositions concrètes, applicables à la réalité telle que nous la connaissons.

Venons en au Pape. En affirmant que le préservatif n’est pas une solution et qu’un rigoureux mélange d’abstinence et de fidélité serait à même de résoudre le problème du sida en Afrique, le Saint-Père inscrit ses propos dans un monde idéal. Il formule des principes qui sont cohérents et fonctionnels dans un monde parfait où chacun les respecterait à la lettre. Comme expliqué auparavant, ces principes ont toutefois une vertu essentiellement critique, en ce sens qu’ils indiquent dans quelle direction devrait se développer le monde.
Le Pape commet une erreur lorsqu’il transforme ses considérations idéales en recettes pratiques pour un monde non idéal. Il y a confusion des « genres ». Les individus d’Afrique ou d’ailleurs ne respectent pas toujours les principes moraux, ils ne sont pas toujours fidèles et de loin pas abstinents. Formuler des principes pour le monde réel sur des bases entièrement faussées (ou sur des phantasmes, en espérant que les gens deviennent ainsi) conduit à des désastres, diamétralement éloignés du monde idéal que l’on visait au premier lieu.

Cette explication s’inscrit peut-être dans un problème plus vaste. Depuis le début de son règne papal, Joseph Ratzinger semble avoir oublié qu’il n’était plus le docte théologien, professeur d’université redouté, qu’il était avant sa consécration. En tant que Pape, il se doit d’être une figure politique, capable de proposer des solutions adaptées à un monde qu’il peut rêver de transformer en idéal, mais dont les traits fondamentaux restent pour l’heure non idéaux.

Johan Rochel
www.chroniques.ch

1 commentaire:

Unknown a dit…

Ben, alors là j'allais presque dire: c'est bien de connaître la théorie idéale!
Non, franchement, j'aime bien tes réflexions sur le Pape!