vendredi 28 mai 2010

Des visions que diable !

La politique se nourrit de visions. Penser la ville, la région, la Suisse de demain fait partie du cahier des charges de ceux qui portent la responsabilité des contours de notre vie en société. Il est pourtant un domaine qui souffre d’un manque terrible de visions: la migration. Sous la Coupole fédérale, mais également dans les cantons, les élus s’agitent, proposent, règlementent, renforcent. Activisme forcené de personnes naviguant à vue.

En matière d’asile, le retour au pays fait toujours figure de Graal. Les accords de réadmission que la Suisse tente de conclure avec ses « partenaires » dessinent l’horizon politique indépassable du système d’asile. Ce discours politique, répété comme un mantra dans tous les partis, passe sous silence la réalité de pays détruits et de conditions de vie inacceptables. A l’échelle des vingt prochaines années, nombreux sont les requérants d’asile qui ne pourront rentrer. Sans bien savoir où les ranger, sur fond de « management » migratoire, on les appelle pudiquement les personnes admises à titre provisoire.

Dans l’attente de ce renvoi aussi hypothétique qu'improbable, comment dépasser le modèle actuel ? Nous avons atteint le plancher en matière de respect des droits fondamentaux. En plus d’être inutiles, des chicaneries supplémentaires ne changeraient rien au problème de base. Poursuivre sur cette voie nous placerait (encore plus) en contradiction avec nos propres principes, inspirés de libéralisme et de tradition humanitaire.

Ce manque de visions atteint son paroxysme au sujet des sans-papiers. Sur le plan des idées, nous sommes démunis. Comment penser la situation de personnes qui, officiellement, ne sont pas là, ne vont pas à l'école, ne travaillent pas – en un mot – n’existent pas ? D’après les études les plus fiables, leur nombre oscille entre 80'000 et 180'000 en Suisse (Piguet/Losa 2002). 30'000 dans une ville comme Zürich.

Une politique d’immigration économique choisie se heurte également à des limites. Les frontières ne sont pas imperméables et aucune loi ne saura empêcher les gens d’entrer en Suisse. Sur cette voie sans issue, la prochaine étape pourrait être la construction d’un mur façon relations amicales entre les Etats-Unis et le Mexique. Belle perspective.

De l’audace intellectuelle que diable ! Regardons notre intégration européenne, cette incroyable zone de libre-circulation des personnes. Laissons-nous inspirer et innovons avec de nouveaux modèles migratoires ! Et tant pis s’ils ne sont pas directement applicables, car ils jouent un rôle bien plus important: orientez à long terme nos politiques vers une situation plus juste pour tous.

Johan Rochel
www.chroniques.ch