vendredi 24 juin 2011

Petite divagation sur nos choix quotidiens

Le niveau de nos connaissances augmente de manière générale. C’est particulièrement vrai pour les questions touchant à notre santé et à notre bien-être. De plus, ces connaissances sont aujourd’hui accessibles à un plus grand nombre. Le temps où une petite élite (le médecin de village par ex.) se réservait le droit de savoir est révolu. De manière générale, ces deux tendances devraient nous réjouir. Néanmoins, si Sartre avait raison lorsqu’il prétendait que nous sommes condamnés à être libres, alors cette liberté devient un peu plus lourde à porter à mesure que s’affirment ces deux tendances.

Analysés sous toutes leurs coutures, nos décisions quotidiennes les plus banales peuvent renfermer des choix cornéliens. En effet, personne ne peut aujourd’hui prétendre ignorer les conséquences de ses actions et décisions, à la fois sur les autres (notamment via nos choix de consommateurs plus ou moins avertis) et sur nous-mêmes. Observez une femme enceinte buvant un verre de vin et jugez les regards accusateurs de l’assemblée. Tous semblent la vouer aux gémonies, car elle devrait savoir à quels dangers inacceptables elle soumet sa future progéniture.

Mais voilà, nombre de ces nouvelles connaissances sont incertaines. Outre qu’elle nous au met au devant de choix difficiles (ce troisième verre de vin est-il néfaste à ma santé ?), cette incertitude ouvre la porte à une application démesurée du principe de précaution. Dans une situation incertaine, la raison nous appelle en effet à préférer la voie du moindre risque. La conséquence est aussi claire que dangereuse : le principe de précaution s’applique quasiment toujours. A la clef, une existence passablement ennuyeuse et le danger d’une législation liberticide.

Chacun de nous a une part de responsabilité dans la lutte contre une société du risque zéro, ce fantasme dangereux et totalitaire. Les agents de transmission de l’information ont toutefois une responsabilité dédoublée. Vu qu’ils font office d’intermédiaires entre les découvertes et les décisions individuelles et collectives que nous réalisons, journalistes, fonctionnaires des ministères de la santé et autres porte-paroles d’institutions scientifiques doivent faire vœu de prudence. Dans certains contextes, ce travail de transmission s’apparente à un vrai travail de traduction. Au final, l’information parfaite devrait apparaître simplifiée sans être simplette, accessible sans être bradée, émancipatrice sans être infantilisante. C’est à ce prix que notre condamnation à la liberté sera une peine que nous saurons relever.

Johan Rochel
www.chroniques.ch

lundi 6 juin 2011

Un voyage aux frontières

Samedi soir, en terres zürichoises, j’ai participé à ma première soirée transgenre. Comment résumer cette brève et furtive excursion dans un monde inconnu ? L’étrange voyage commence dans l’univers des mots et des catégories les plus banales pour aboutir à un constat sans appel : notre vocabulaire n’est pas adéquat. Transgenre, un mot valise pour dire la réalité et le quotidien de nombreuses personnes qui ne se sentent pas à l’aise dans leur identité. Ils ou elles sont né(e)s hommes ou femmes, mais ne se reconnaissent pas dans leur identité physiologique, sexuelle ou sociale. Ne les appelez pas transsexuels ; il est question de choses plus profondes que de changements chirurgicaux ou d’une orientation sexuelle.

L’ambiance de la soirée est bon enfant, beaucoup semblent se connaître. Outre quelques accoutrements un peu osés, l’atmosphère est étonnamment « normale ». Le mot tombe, comme un couperet. Un brin voyeur, voici donc que j’étais venu chercher l’extraordinaire. Plus que l’anormal, c’est le singulier et le particulier qui frappent ici. On est au cœur de l’inclassable, un endroit où les catégories perdent leur raison d’être et leur importance. Mon voisin est-il une femme ? Se sent-il homme ? Souhaite-t-il rester entre les deux, se baladant comme un funambule sur cette frontière des sexes ?

Perturbante sensation que celle de buter sur le fondamental. Sans la distinction homme-femme, peut-on concevoir le monde qui nous entoure ? Comment appréhender ceux qui se déplacent dans ce no-man’s land de l’entre-genres ? Entre le bar et la piste de danse, les gens virevoltent, ouverts à toutes formes d’expression du genre. Ma propre identité se fait pesante. Le regard parfois lourd que j’avais posé sur les convives m’est renvoyé comme un miroir. Sur scène, un artiste se produit. Il est femme et homme, sorte de Janus gardant la porte de ce monde à la fois ouvert et mystérieux. La frontière se fluidifie, elle n’est que transition entre des catégories incapables de saisir la réalité. Je reste là, perdu entre la piste de danse et les abysses de l’identité.

Pour en savoir plus: http://www.transgender-network.ch/fr/

Johan Rochel

www.chroniques.ch