lundi 4 juillet 2011

Réconcilier les droits populaires avec les droits fondamentaux

Publié dans Le Temps, 29 juin 2011, avec Guillaume Lammers

A la manière d’un puzzle dont on ne saurait prédire la finalité, les propositions de réconciliation plus ou moins amicale entre le droit d’initiative et les droits fondamentaux s’accumulent. Pour les non-spécialistes, il est difficile de voir clair dans cette multitude de propositions. Pour les promoteurs d’une souveraineté populaire absolue, il est facile de vouer toutes les propositions aux gémonies.

Une grille d’analyse intégrant l’ensemble des propositions est devenue l’outil nécessaire d’un débat démocratique serein. L’approche proposée par le foraus – Forum de politique étrangère – dans son dernier papier de discussion répond à ce besoin. La question centrale de ce débat se laisse ainsi formuler sous forme de triptyque: Quelle institution (qui?) devrait à quel moment (quand?) et avec quels instruments (comment?) intervenir dans la procédure d’une initiative populaire? Qui de la Chancellerie, du parlement ou du Tribunal fédéral doit pouvoir se prononcer sur la validité d’une initiative populaire? Cette question doit-elle être traitée avant ou après la récolte des 100 000 signatures? Cette décision est-elle contraignante?

Au cours des cinq dernières années, ces questions ont gagné un intérêt politique de premier plan. De simple possibilité théorique, le lancement d’initiatives populaires violant les principes de base de ­notre Constitution et des instruments fondamentaux tels que la Convention européenne des droits de l’homme s’apparente de plus en plus à une pratique politique revendiquée. Du côté de Berne, la problématique a été reconnue et examinée par le Conseil fédéral dans deux rapports parus en 2010 et 2011. Au parlement, les différentes propositions plaidant pour un encadrement des droits populaires n’ont pour l’heure pas trouvé grâce auprès de la majorité. Particulièrement paradigmatique à ce sujet pourrait être le balayement en avril dernier de l’initiative parlementaire d’Isabelle Moret (PLR/VD) visant à introduire un contrôle préalable par le Tribunal fédéral.

Mal en point mais cliniquement vivant, le débat a timidement rebondi à la mi-mai via la Commission des institutions politiques du Conseil national. Elle souhaite introduire un contrôle préalable non contraignant. De plus, les critères de validité des initiatives populaires seraient étendus au respect du noyau dur des droits fondamentaux inscrits dans la Constitution fédérale et la Convention européenne des droits de l’homme. Malgré cette volonté de poursuivre la discussion, les réactions parlementaires – au sein desquelles la timidité du centre droit a déçu plus d’un observateur – ont clairement montré qu’aucun encadrement du droit d’initiative cherchant à éviter un conflit frontal ne trouve pour l’heure de majorité à Berne.

Si le temps des décisions n’est pas encore venu, il importe de faire évoluer le débat qui tend à s’enliser en raison de fronts durcis. De manière constante, le respect des droits fondamentaux et le respect du droit international sont traités d’un seul et même coup. S’il est vrai que les deux aspects coïncident souvent (à l’exemple de l’initiative sur le renvoi des étrangers criminels), la confusion qui en découle doit néanmoins être levée. D’une part, la question des droits fondamentaux renvoie en premier lieu à notre propre Constitution fédérale et à la façon dont nous entendons respecter les libertés et les droits individuels. D’autre part, le respect du droit international renvoie à la crédibilité de la Suisse comme partenaire international fiable et capable de respecter ses engagements. Chaque problème appelle des solutions spécifiques.

Pour l’heure, le débat gagnerait en clarté s’il se concentrait sur les possibles violations des droits fondamentaux. A ce titre, une initiative populaire mettant en danger les droits d’une minorité est choquante surtout parce qu’elle remet en cause l’un des fondements de notre Constitution, à savoir les droits et libertés individuels. Afin de parer à un tel danger, foraus propose de s’intéresser plus précisément à un mécanisme de prévention des violations des droits fondamentaux. Ainsi, en introduisant une norme de conflit dans la Constitution fédérale, le souverain stipulerait la priorité du respect d’un droit fondamental sur une autre norme avec laquelle il serait en contradiction dans un cas d’application. Concrètement, cela signifie qu’une initiative comme celle demandant la peine de mort aurait été soumise au vote et (peut-être) acceptée. Ce n’est que dans un deuxième temps, dans un cas d’espèce, que la norme de conflit aurait signifié la priorité des droits fondamentaux sur une condamnation à mort.

A n’en pas douter, cette proposition représente un changement de paradigme majeur. Une hiérarchie entre les différentes normes de notre Constitution fédérale serait introduite. Gageons que cette proposition puisse faire bouger les lignes politiques, en prenant à contre-pied les adversaires de toute réforme des droits populaires. En effet, elle ne prévoit aucune limite supplémentaire à la procédure de l’initiative populaire proprement dite. De plus, le cœur de cette nouvelle approche ne se trouve pas dans le droit international, auprès de soi-disant «juges étrangers», mais au sein de notre propre Constitution.

Guillaume Lammers
Johan Rochel