mercredi 26 janvier 2011

Fusil, liberté, et drôles d'idées

On l’attendait émotionnelle, la voilà singulière. La campagne contre l’initiative « Pour la protection face à la violence des armes » a amené vers la surface des arguments insoupçonnés sous nos latitudes. Il aura fallu toucher au cœur de plusieurs mythes helvétiques – tous reliés au fusil d’assaut – pour voir ces drôles d’oiseaux sortir du bois.

Premièrement, à travers l’affiche dénonçant « un monopole des armes pour les criminels » (UDC), ce sont des tonalités venues d’Outre-Atlantique qui se font une place dans le débat public. Dans la veine du 2è amendement de la Constitution des Etats-Unis (garantissant aux citoyens le droit de porter des armes), on cherche à profiler le citoyen façon explorateur du far west : une arme pour défendre biens et famille face aux agresseurs à poils et à plumes, grizzlis et Indiens compris.

En filigrane, c’est une étrange conception de l’Etat qui apparaît au grand jour. Celui-ci n’aurait plus « le monopole de la violence légitime » (Max Weber) et les citoyens seraient autorisés à user de l’arme de service ou d'une arme privée pour faire justice eux-mêmes. Le cas d’un fermier bernois qui dégomma et tua un voleur de cannabis l’automne passé montrent à merveille que cette vision n’est pas un simple exercice théorique. La police n’a donc qu’à bien se tenir, voici venir une nouvelle génération de citoyens faisant justice au Fass 90.

Quant à l’argument associant armes et démocratie (par ex. sous la plume de François Schaller, rédacteur en chef de l’Agéfi), quelle confiance avons-nous dans nos institutions et nos traditions démocratiques pour penser que le fusil d’assaut en serait la meilleure garantie ? L’exemple de la Tunisie montre de manière dramatique que l’arme est parfois garante de sécurité contre un Etat totalitaire. Mais la Suisse de 2011 est-elle sur cette voie ?

Deuxièmement, on s’étonne d’entendre un appel constant à la responsabilité et la confiance du citoyen. Mais de quoi parle-t-on ? Quelle est cette confiance de l’Etat qui ne concerne qu’une part minime des citoyens, excluant au passage toutes les citoyennes ? Quelle est cette confiance qui donne l’arme d’une main, mais reprend la munition de l’autre ?

De manière plus fondamentale, il ne s’agit pas de demander pourquoi le fusil doit retourner à l’arsenal, mais pourquoi il devrait en sortir. Pourquoi l’Etat distribue-t-il chaque année quelques 20'000 fusils d’assaut ? Presque plus personne ne conteste aujourd’hui que l’utilité militaire de l’arme à domicile (surtout sans munition !) relève du mythe. Alors pourquoi diable faut-il garder ces armes à domicile ?

Johan Rochel
www.chroniques.ch

vendredi 14 janvier 2011

Année électorale...par amour de la Suisse !

Éditorialistes et chroniqueurs se sont donnés le mot d’ordre pour la nouvelle année : pronostiquer au plus juste les résultats qui sortiront des urnes en novembre prochain, date de renouvellement du Parlement fédéral. Que de difficultés dans cet exercice de divination !

En guise de mise en bouche, il apparaît plus approprié de se contenter des différentes plateformes électorales déjà disponibles. Après le slogan « Ma maison – notre Suisse», l’UDC poursuit sur sa lancée avec « Les Suisses votent UDC ». Rien de nouveau sous le sympathique soleil de feu le parti agrarien. Plus surprenant s’avère être le choix des Libéraux-radicaux - avec une campagne fédérale "Par amour de la Suisse" - et des Démocrates-chrétiens et leur campagne "Les Suisses qui sont heureux votent démocrate-chrétien - Succès. Suisse. PDC.".

S’agit-il d’un choix bénin, une trace quasi non consciente de la funeste stratégie de pâle copie de l’UDC ? Ou s’agit-il d’une véritable nouveauté, qui révèlerait au passage des tendances plus profondes participant à la reconfiguration des partis du centre-droit ? Le temps semble mûr pour une tentative de mise en perspective.

A n’en pas douter, les slogans PLR/PDC traduisent un recentrage sur la Suisse. A son tour, celui-ci renvoie à une tension entre patriotisme et nationalisme. Les libéraux-radicaux réaffirment-ils simplement leur patriotisme originel, défini comme la volonté de pérenniser la qualité de notre vivre-ensemble ? Sur un ton amoureux, le PLR affirme-t-il sa volonté de se battre pour les principes et les institutions propres à un pays pluraliste, libéral et démocratique ? Pour tous ceux qui tremblent face au climat délétère qui s’installe, que la nouvelle serait réjouissante !

Mais il pourrait s’agir de nationalisme à peine dilué. Un amour du pays qui toucherait au fétichisme d’une Suisse qui n’existe que dans les mythes nationaux. Un amour fusion qui étoufferait le dynamisme de notre pays en le bloquant dans des structures et des concepts surannés. Un nationalisme dont on trouve moult émanations dans la sauvegarde d’une armée de grand-papa, la remise à l’ordre du jour d’un système scolaire couleur sépia et – ô combat suprême – dans l’éternelle croisade contre l’Europe.

La Suisse telle qu’elle existe depuis (seulement) un peu plus de 150 ans se transforme en standard absolu et indépassable. Impossible de penser l’après Etat-nation type 19e siècle. Et pourtant, à relire les arguments des conservateurs contre la mise en place de l’Etat fédéral en 1848, on se prend à entendre les chantres de la souveraineté nationale déclamant tout leur dégout de l’UE. O tempora – o mores ! Ô temps, ô mœurs ! Et pourtant, pourquoi la Suisse et sa souveraineté telles que nous les connaissons aujourd’hui devrait-elle perdurer éternellement ? L’histoire ne nous montre-t-elle pas l’évolution des institutions ?

Les positions défendues par les nationalistes de tout poil ne sont pas mauvaises en soi. Elles pèchent par manque de faculté d’adaptation et par excès de crispation face à toutes nouveautés. Les Libéraux-radicaux veulent s’engager "Par amour de la Suisse" et les Démocrates-chrétiens "Succès. Suisse. PDC" : grand bien leur fasse ! Espérons qu’ils sachent enfin reconnaitre la place des véritables patriotes : proches du centre et des grandes utopies libérales.

Johan Rochel
www.chroniques.ch