vendredi 19 mars 2010

Adieu saucisse, steak et cochonnailles

Reprenant la bonne formule de Jean de la Fontaine, il n’y a qu’un pas à faire pour prophétiser la fin prochaine de la viande dans nos assiettes. Demain appartiendra aux végétariens !

Vous êtes sceptiques ? Tous les amateurs de bonne chaire (dont votre serviteur) le sont encore plus ou moins. Néanmoins, un exercice de futurologie appliquée devrait permettre de montrer que les lendemains des mangeurs de viande ne s’annoncent pas tendres. Trois mouvements de fond semblent converger vers un nouveau mode de consommation.

Premièrement, les végétariens font valoir de bons arguments éthiques depuis maintenant près de 30 ans. Popularisée par le philosophe Peter Singer dans son livre « La révolution animale » (1975), cette mouvance souligne le caractère « spéciste » de notre rapport aux animaux. Cette approche est dénoncée par Singer et ses acolytes : le simple fait que les hommes soient d’une autre espèce ne les autorise pas à exercer un pouvoir sans limite sur les animaux. Il ne s’agit pas de considérer hommes et animaux comme étant égaux, mais comme méritant tout deux le respect et l’attention que l’on devrait porter aux êtres sentants (capables de ressentir douleurs et plaisirs). Cette argumentation ne convainc pas tout son monde, mais elle n’en est pas moins solide et bien ancrée dans nos intuitions morales. Selon les formules, elle débouche sur une interdiction de traiter les animaux comme nos simples serviteurs, de les tuer ou de les faire souffrir.

Cette ligne « philosophique » reçoit depuis peu l’aide inattendue de certains mouvements verts. La production de viande serait un désastre écologique, tant du point de vue de ses conséquences (élevage intensif et épidémies) que de ses coûts écologiques. Si les arguments manquent encore de rigueur, on perçoit déjà la force d’une telle approche. Elle s’inscrit à merveille dans une mouvance naturaliste (la nature comme équilibre que l’homme menace), où notre mode de vie doit être fondamentalement repensé en cohésion avec le vivant.

Ces deux tendances de fond sont appuyées par des « modes ». Même s’il est moins persistant que les approches éthiques et écologistes, le mouvement « lifestyle » végétarien fait beaucoup plus parler de lui. En plus d’être tendance, un resto végétarien est aujourd’hui synonyme de vie équilibrée et saine.
Les amateurs de steak saignant rigolent peut-être de ces arguments. Gageons qu’ils feraient mieux de préparer une meilleure riposte que l’argument « Depuis toujours l’homme est chasseur ». Les éleveurs de canard, de grenouilles ou d’animaux à fourrure nous montrent que la bataille n’est pas gagnée d’avance.

Johan Rochel
www.chroniques.ch

jeudi 4 mars 2010

Le contrat du siècle: la Suisse et les moutons noirs

Session parlementaire oblige, on reparlera sous peu de l’initiative « Pour le renvoi des étrangers criminels ». La fameuse proposition « Moutons noirs » se trouve dans une situation volontiers paradoxale. Une majorité des acteurs politiques s’entendent pour soutenir son principe de base (l’étranger commettant un crime grave doit être renvoyé), tandis qu’une vaste coalition de cette même majorité s’est formée pour combattre le texte de l’UDC au nom de principes supérieurs.

Pour comprendre la force sans pareille de cette initiative, il est nécessaire de revenir à l’idée de base du projet : un contrat social passé entre un pays souverain (la Suisse) et des étrangers souhaitant y séjourner et y vivre. En l’acceptant, l’étranger marque sa volonté de respecter les valeurs fondamentales de l’ordre juridique, politique et sociétal suisse. De son côté, la Suisse affiche sa volonté d’accueillir le mieux possible cette personne, en respectant tout particulièrement la garantie de non-discrimination.

Même si l’argument de base de type contrat social s’avère extrêmement puissant, il n’en demeure pas moins que nous assistons à une « absolutisation » de l’idée du contrat Suisse-étrangers. Le lien entre les deux parties du contrat est en quelques sortes « sacralisé », au point qu’il prime sur toute autre considération.
Et c’est exactement là que le bât blesse. L’argument du contrat social ne peut, n’en déplaise à l’UDC, faire fi des garanties et principes fondamentaux de notre Etat de droit. A ce titre, il faut sans nul doute compter le principe de proportionnalité, qui exige que chaque cas soit traité de manière individuelle, c’est-à-dire en prenant en compte toutes les informations pertinentes. Vu qu’elle demande l’automaticité des expulsions, l’initiative « Moutons noirs » entre en contradiction insurmontable avec ce principe.

De plus, le contrat social entre la Suisse et ses étrangers ne peut se concevoir dans une sorte de vide institutionnel. La Suisse, en tant que pays souverain, est partie prenante au concert des nations et s’engage à ce titre à respecter certains principes fondamentaux de l’ordre juridique international. Le principe de non-refoulement et l’interdiction de livrer des personnes à des Etats où il risque la torture ou d’autres traitement inhumains forment les conditions-cadres de ce que la Suisse peut entreprendre. A ce double titre, l’initiative « Moutons noirs » pèche gravement par l’absolutisation du contrat social : il faut la repousser vigoureusement.

Johan Rochel
www.chroniques.ch