mercredi 25 février 2009

Meurt, mais ne disparaît point.

Des êtres chers meurent et disparaissent. Ils laissent derrière eux un vide béant, entraînant les proches dans un abîme de tristesse. L’adieu est parfois abrupt, quand il tombe comme un couperet que l’on ne saurait prévoir. A l’inverse, l’au revoir est parfois long. La barque s’éloigne de la rive, un contact lentement perdu avec un bateau à la dérive.

A travers des personnes âgées souffrant d’Alzheimer, on prend conscience de la douleur que représente ce départ non consenti vers un ailleurs dont on ne sait même pas s’il existe. On crie, on hurle, on supplie, car on aimerait attacher la personne à ce seul mot d’ordre : reste telle que tu as été, ne deviens pas cet Autre que je ne connais pas. L’espace d’un moment, notre esprit ne veut de cette réalité, tant habitué à identifier l’être aimé et la représentation que nous avions de lui. Le corps est là, l’être n’est plus. La personne meurt, mais ne disparaît point. Un deuil blanc.
On peut alors passer son chemin. Penser que la relation n’est plus possible, et qu’il vaut mieux ne garder de l’être aimé que les souvenirs d’une personne devenue ombre. Alors on se côtoie, non sans affection parfois, mais le cœur n’y est plus. Le trépas a comme gagné une petite bataille sur la vie. On bat en retraite, solidement protégé par les remparts d’un passé que l’on pense inébranlable.

Mais on peut également refuser de perdre cette bataille sans l’avoir menée. La relation d’antan n’est plus, que vive le présent ! Dans une infinie tendresse, tenter de retrouver le chemin de l’être aimé, même si rien ne sera plus comme avant. Cette illusion du retour à l’âge d’or a d’ailleurs disparu. Seul compte le présent d’une relation entre deux êtres.
Et l’un ne reste pas sur la rive tandis que la barque s’éloigne. Il manque une deuxième barque à cette allégorie, que l’on emprunte pour accompagner l’être aimé, dans une relation sans cesse renouvelée. Surtout pour le non-croyant, le défi est d’une incroyable difficulté. Car il ne peut se réjouir que l’être aimé s’approche d’une fin qu’il assimile à un grand black-out. Sortie des artistes, tour de piste terminé. Sans regret pour une relation qui fut, sans attente pour une relation qui est, toujours à se ré-approprier un présent fuyant, n’est-ce pas là notre seule chance d’une séparation sans séquelles futures ?

http://www.chroniques.ch/
Johan Rochel

mardi 3 février 2009

De l’illusion individuelle au défi global

Deuxième et dernière partie d'une chronique sur le changement climatique.

Après avoir tenté de montrer dans ma dernière chronique que le rapport du panel d’experts des Nations Unies – le GIEC – nous fournissait les bases satisfaisantes d’une discussion sur le thème du changement climatique, je m’attache aujourd’hui à observer les réactions provoquées par le défi climatique.
Dans un livre intitulé Les guerres du climat*, Harald Welzer différencie trois niveaux de réaction, qui ne s’excluent pas mutuellement, mais qui plus ou moins reflètent notre souhait de conserver un contrôle sur la situation. Pour le psychologue et sociologue allemand, toutes nos réponses se caractérisent par notre tendance naturelle à diminuer la dissonance entre nos attentes et ce que la réalité nous renvoie. Bien souvent, plutôt que de réviser nos attentes, nous préférons fermer les yeux ou modifier certaines de nos perceptions de la réalité.

Le premier niveau de réaction se situe dans l’action individuelle. On retrouve trace de cet état d’esprit dans les livres ou brochures listant les 101 astuces pour sauver la planète dans les gestes quotidiens. Cette seule approche est au mieux insuffisante, au pire une dangereuse illusion. Certes, éteindre la lumière en sortant de la cuisine fait du bien et permet une petite économique d’énergie : il n’en reste pas moins que le geste est en complète inadéquation avec l’importance et l’échelle du défi qui nous fait face (toujours sur la base du rapport du GIEC). Selon Welzer, il est aisé de comprendre pourquoi ce niveau d’action nous attire particulièrement : il simplifie de manière grotesque la complexité des interactions et résout la question des responsabilités de façon à ce que le problème reste à portée de tous. La dissonance entre notre volonté de maîtriser ou de nier le problème et l’incroyable échelle du défi se trouve réduite à une portion congrue.
En agissant uniquement de la sorte, c’est toutefois toutes les responsabilités collectives – entre autres entreprises et collectivités publiques – qui sont passées sous silence. La dimension globale du défi qui nous fait face échappe également entièrement à cette idéologie des recettes individuelles.

Le niveau étatique représente donc un complément indispensable au premier niveau. Par ex. au travers de programmes nationaux d’assainissement énergétique, les citoyens et les politiques tentent de parer au plus pressé. Ils tentent ainsi de conserver l’impression d’un contrôle sur la complexité de la situation. Sur ce deuxième niveau, les mesures entreprises sont déjà plus en rapport avec l’importance du challenge ; il n’en reste pas moins qu’elles ne rendent pas justice à l’aspect global du changement climatique.

Sans coordination internationale, les actions de chaque Etat sont nécessairement insuffisantes. D’après Welzer, c’est sur ce troisième niveau que la complexité des défis apparaît pleinement et que la perte de contrôle de chacune des entités sur la résolution du problème est la plus marquée. Malgré son développement croissant, le droit international ne peut encore jouer le rôle de coordinateur global, car il manque encore de relais institutionnels et, notamment, de moyens de rendre ses décisions obligatoires et non négociables à l’envi. D’après le scientifique allemand, le formidable défi du changement climatique pourrait toutefois donner le coup de rein nécessaire à la création de nouvelles entités supra-étatiques, comme les procès de Nüremberg et Tokyo ont préfiguré la création de la justice internationale dans l’immédiat après-guerre.

Johan Rochel
http://www.chroniques.ch/
* Harald Welzer, Klimakriege, Wofür im 21. Jahrhundert getötet wird, S. Fischer, 2008