mardi 3 février 2009

De l’illusion individuelle au défi global

Deuxième et dernière partie d'une chronique sur le changement climatique.

Après avoir tenté de montrer dans ma dernière chronique que le rapport du panel d’experts des Nations Unies – le GIEC – nous fournissait les bases satisfaisantes d’une discussion sur le thème du changement climatique, je m’attache aujourd’hui à observer les réactions provoquées par le défi climatique.
Dans un livre intitulé Les guerres du climat*, Harald Welzer différencie trois niveaux de réaction, qui ne s’excluent pas mutuellement, mais qui plus ou moins reflètent notre souhait de conserver un contrôle sur la situation. Pour le psychologue et sociologue allemand, toutes nos réponses se caractérisent par notre tendance naturelle à diminuer la dissonance entre nos attentes et ce que la réalité nous renvoie. Bien souvent, plutôt que de réviser nos attentes, nous préférons fermer les yeux ou modifier certaines de nos perceptions de la réalité.

Le premier niveau de réaction se situe dans l’action individuelle. On retrouve trace de cet état d’esprit dans les livres ou brochures listant les 101 astuces pour sauver la planète dans les gestes quotidiens. Cette seule approche est au mieux insuffisante, au pire une dangereuse illusion. Certes, éteindre la lumière en sortant de la cuisine fait du bien et permet une petite économique d’énergie : il n’en reste pas moins que le geste est en complète inadéquation avec l’importance et l’échelle du défi qui nous fait face (toujours sur la base du rapport du GIEC). Selon Welzer, il est aisé de comprendre pourquoi ce niveau d’action nous attire particulièrement : il simplifie de manière grotesque la complexité des interactions et résout la question des responsabilités de façon à ce que le problème reste à portée de tous. La dissonance entre notre volonté de maîtriser ou de nier le problème et l’incroyable échelle du défi se trouve réduite à une portion congrue.
En agissant uniquement de la sorte, c’est toutefois toutes les responsabilités collectives – entre autres entreprises et collectivités publiques – qui sont passées sous silence. La dimension globale du défi qui nous fait face échappe également entièrement à cette idéologie des recettes individuelles.

Le niveau étatique représente donc un complément indispensable au premier niveau. Par ex. au travers de programmes nationaux d’assainissement énergétique, les citoyens et les politiques tentent de parer au plus pressé. Ils tentent ainsi de conserver l’impression d’un contrôle sur la complexité de la situation. Sur ce deuxième niveau, les mesures entreprises sont déjà plus en rapport avec l’importance du challenge ; il n’en reste pas moins qu’elles ne rendent pas justice à l’aspect global du changement climatique.

Sans coordination internationale, les actions de chaque Etat sont nécessairement insuffisantes. D’après Welzer, c’est sur ce troisième niveau que la complexité des défis apparaît pleinement et que la perte de contrôle de chacune des entités sur la résolution du problème est la plus marquée. Malgré son développement croissant, le droit international ne peut encore jouer le rôle de coordinateur global, car il manque encore de relais institutionnels et, notamment, de moyens de rendre ses décisions obligatoires et non négociables à l’envi. D’après le scientifique allemand, le formidable défi du changement climatique pourrait toutefois donner le coup de rein nécessaire à la création de nouvelles entités supra-étatiques, comme les procès de Nüremberg et Tokyo ont préfiguré la création de la justice internationale dans l’immédiat après-guerre.

Johan Rochel
http://www.chroniques.ch/
* Harald Welzer, Klimakriege, Wofür im 21. Jahrhundert getötet wird, S. Fischer, 2008

4 commentaires:

Anonyme a dit…

Conférencier très intéressant, ce professeur Walzer m'a cependant laissé une impression pessimiste désagréable lorsque j'ai suivi sa présentation.

Je ne saurais réfuter la théorie selon laquelle ce défi se joue à trois niveaux. ( individuel, étatique et supra-étatique. ) Je me permets cependant de remettre en doute l'importance du dernier niveau. Une agence, ou accord, supra-étatique ne me parait pas indispensable et les efforts étatiques de chaque pays ne m'apparaissent pas forcément insuffisant. Pourquoi ? et bien parce que même une action commune et forte serait insuffisante.

Johan Rochel a dit…

Salut Guillaume,

Merci pour ta réaction.

Je suis un peu surpris par ton commentaire, toi qui n'apprécie point trop le pessimisme trop forcé. "Même une action commune et forte serait insuffisante", je pense qu'il faut admettre qu'une action bien coordonnée et décidée aurait tout de même la possibilité d'inverser le trend. Même si, il est vrai, il convient de ne pas oublier la dimension temporelle du défi: nous produisons aujourd'hui le réchauffement climatique qui aura lieu dans environ un demi-siècle.

Loin d'avoir une théorie complète à disposition, je reste tout de même convaincu que la coordination internationale reste un peu central dans la réponse à apporter au défi climatique. Les réponses étatiques non-coordonnées restent insuffisantes du point de vue de leur efficacité.
Afin de répondre de la façon la plus efficace au défi climatique, la Suisse aurait intérêt à investir plutôt dans des projets à l'étranger. Le 1.- investi a plus de valeur "là-bas" qu'"ici". Ce genre d'action appelle une coordination internationale.

De plus, un accord international permet de résoudre des situations du genre "prisonner's dilemma", où les parties pèchent à collaborer à cause du manque d'incitatifs, qui rendraient une non-collaboration plus coûteuse.

dOfré a dit…

Johan,

J'ai bien peur que l'Individu et l'Etat, avec toute la meilleure volonté du monde ne puissent pas faire grand chose contre le changement climatique tant que l'intérêt financier ne soit suffisamment intéressant pour que chacun des acteurs de notre société y trouve son compte.

La consommation d’énergie, càd le potentiel a rendre notre planète moins verte, se décompose comme suit selon le gouvernement américain :

32% industriel
29% transport
18% commercial
21% résidentiel

(les chiffres changent d'étude en étude, bref disons un quart pour tous pour mieux se le représenter)

L’individu peut sensiblement améliorer le résidentiel (mais quand l’hiver est rude il faut bien se chauffer) et encore plus sensiblement avoir un impact dans les transports…. (quand il faut se déplacer en voiture pour faire vivre sa famille, et bien on prend sa voiture !)

L'Etat tente de légiférer dans chacun des 4 secteurs avec des mesures anecdotiques (limite d'émission de CO2 pour les nouvelles voitures produites, bourse d’échange de CO2, etc….) Mais quel est l'intérêt? Depuis longtemps les constructeurs produisent des voitures moins polluantes que les prochaines normes à venir et les tonnages de CO2 autorisés laissent bien assez de marge à n’importe quelle industrie qui produit d’une manière rationnelle (i.e. sans gaspillage. Gaspillage = coûts et coûts impliquent baisse des profits => irrationnel)

Bref, ces nouvelles lois ne sont pas des contraintes qui nous poussent à nous battre / nous mobiliser contre le réchauffement climatique. Les politiques n’ont aucun intérêt à se mettre à dos les entreprises car de toute façon le Marché a déjà compris que la dimension « go green » va rapporter gros :
- On produit des voitures qui polluent peu parce que les stratégies marketing des gros producteurs vont dans ce sens pas pour la planète ni pour la législation en place ou à venir (le marketing pour la puissance et la vitesse est dépassé tout comme celui de la sécurité est en fin de vie. Par contre émettre moins de particules qu’un concurrent est vendeur)
Par conséquent je pense qu’il n’y a aucune volonté de l’Etat ni même une nécessité cruciale (comme de nombreux experts le disent) de se mobiliser pour la planète au dépit de la consommation et du confort des individus.

Le climat a changé d’une manière si rapide à cause de l’explosion démographique et technologique (et les besoins que cela impliquent) ces deux derniers siècles que de toute façon aucune action forcée ni même coordonnée n’améliorera la situation à court ou moyen terme. Je propose plutôt qu’on améliore les conditions cadres nécessaires au Marché pour pouvoir profiter pleinement des opportunités que représente cette nouvelle dimension "verte". Cette stratégie aura ses effet sur le long terme tant qu’il y aura un intérêt économique à produire du vert. Ne présentons pas l’initiative « go green » comme une nécessité mais comme un nouvel eldorado à exploiter…. et en plus il parait que ca aura un effet sur le réchauffement climatique !

Johan Rochel a dit…

Cher Dofré,

Un grand merci pour cette longue et intéressante réponse.

J'ai été mal compris si mon billet laissait entendre que l'Etat et/ou les individus pouvaient affronter le défi du changement climatique sans l'aide de ce que l'on appelera "l'économie". Comme tu l'as noté, l'Etat peut donner des incitatifs (fiscaux notamment) ou donner un cadre contraignant (interdire par exemple les centrales à charbon).

Je suis tout à fait d'accord avec ta vision du "go green". Présentons la comme une opportunité à saisir, et faisons se coordonner les intérêts de l'environnement avec les intérêts des producteurs de voiture, de chauffage et autres.
Toutefois, cette vue ne semble pas exempte de problèmes.

Premièrement, que se passerait-il si, pour des raisons qui nous échappent, les consommateurs se détourner du "green" ? Et il y a fort à parier que cela arrivera, à plus ou moins court terme. Le "go green" ne restera pas le critère numéro un pour acheter une voiture éternellement. Admettons donc que l'intérêt des consommateurs à acheter vert disparaît. Les producteurs vont donc s'en détourner. Et pourtant, le défi climatique, lui, n'a pas changé: il reste d'actualité ! Et c'est là que l'Etat, notamment pas les deux mesures évoquées ci-dessus, doit jouer un rôle.

Deuxièmement, l'intervention étatique peut être importante pour motiver certains à entreprendre des actions, qui, à premier abord, ne sont pas forcément intéressantes sur le plan économique. On pensera par exemple aux économiques gigantesques à réaliser dans l'assainissement des bâtiments. Tu me diras que là aussi, l'intérêt devrait pousser les entrepreneurs vers de tels travaux. Par exemple en simplifiant les procédures administratives, en encourageant fiscalement, l'Etat peut faire accélerer les choses.

Troisièmement, et comme je l'ai noté dans mon autre réponse, une coopération internationale (pas forcément quelque chose de contraignant, un échange efficace d'informations) me semble être utile pour favoriser l'emploi le plus rationnel des ressources. A la place d'acheter un produit "green" un peu plus cher que les produits normaux en Suisse, le consommateur ne fera-t-il pas mieux d'investir la différence dans un programme de suppression des centrales à charbon dans un pays tiers ? L'effet du même franc sur le climat s'en trouverait décuplé.

Au plaisir de lire ta prochaine réponse,