lundi 28 mars 2011

Comment gérer un monde d'interdépendances?

L’actualité internationale nous offre la preuve que nous évoluons dans un monde fait d’interdépendances permanentes. Le défi politique sous-jacent n’est toutefois pas souvent clairement formulé : Comment gérer ces interdépendances ?

Depuis bientôt trois mois, les nouvelles internationales ont pris une place de plus en plus importante dans nos vies. En s’invitant dans nos salons, nos journées de travail et nos discussions, les évènements internationaux monopolisent une bonne partie de notre capacité d’attention. A n’en pas douter, l’omniprésence et l’instantanéité de ce flux d’informations rapprochent les bonheurs et les tragédies qui se jouent sur ce qu’on appelle fort justement le théâtre du monde. Les conséquences de cette proximité sont nombreuses, tant sur notre capacité d’identification que sur notre propension à faire œuvre d’empathie et à nous engager en faveur des victimes.

Sur un plan global, c’est l’occasion de vérifier que nous évoluons dans un monde d’interactions permanentes. A leur tour, ces interactions ouvrent le champ d’interdépendances structurelles et profondes. Mais au-delà de ce constat relativement banal, il importe de débattre la question politique et juridique fondamentale de la bonne gestion de ces interdépendances. Affirmer qu’un nuage radioactif ne pourrait toucher la Suisse, qu’une vague de réfugiés s’abattra sur l’Europe ou que la récolte de cacao sera affectée par le duel Gbagbo/Ouatara ne pose en effet pas la question essentielle : quels mécanismes politiques pour gérer ces interdépendances et les risques de domination corollaires ?

Les limites de l’Etat-nation

Il est aujourd’hui peu disputé que l’Etat-nation et l’idée de souveraineté absolue ne sont plus des réponses satisfaisantes. Ce qui se passe à l’intérieur d’un Etat a des influences considérables sur les acteurs extérieurs. Le fait même de recourir au terme de communauté internationale montre qu’il existe un étalon de valeur supérieur, rassemblant en un groupe l’ensemble des individus et des communautés politiques. Au contraire d’une souveraineté nationale une et indivisible, il s’agit plutôt d’adopter une approche différenciée, capable de séparer les différents domaines de compétences et de les allouer à l’échelon politique et institutionnel le plus à même de gérer de manière légitime ces interdépendances.

Repenser le défi de la légitimité

Deux stratégies complémentaires s’ouvrent à la communauté internationale. Premièrement, les compétences souveraines doivent être attachées à un standard de légitimité. Dans la mesure où ce standard n’est pas respecté, la communauté politique en question perd l’usage légitime de ses compétences souveraines. La proposition actuellement la plus crédible quant au contenu de ce standard de légitimité se concentre sur le respect effectif des droits de l’homme. A ce titre, la résolution 1973 de l’ONU relative à la situation en Lybie est le premier exemple d’action de la communauté internationale puisant sa légitimité dans le concept de « responsabilité de protéger ». Une responsabilité qui s’applique lorsqu’un régime met volontairement et systématiquement en danger les droits fondamentaux des individus vivant sur son territoire.

Deuxièmement, certains compétences souveraines doivent être allouées à des institutions supranationales, existantes ou encore à inventer. De par leur caractère global, ces institutions devraient être à même de conceptualiser puis de réguler les interdépendances existantes entre les acteurs. A leur tour, ces nouveaux lieux de débats et de décisions politiques doivent être organisés afin d’assurer une juste et équitable représentation de toutes les voix.

L’interdépendance qui caractérise notre monde globalisé appelle des réponses innovantes, sortant des cadres conceptuels dans lesquels les politiques nationales évoluent. Sur le plan de politique internationale, ces questions offrent un champ de possibles sur lesquels la Suisse devrait prendre un véritable leadership intellectuel et moral. A titre d’exemples, la reconnaissance d’un nouvel Etat (par. ex le Kosovo) offre un momentum particulièrement paradigmatique de cette gestion des interdépendances. En développant un cadre conceptuel cohérent sur les conditions et limites de la reconnaissance d’un nouveau membre de la communauté internationale, la Suisse aurait les moyens de s’affirmer sur un terrain absolument central. En adoptant une telle stratégie, la Suisse sera en mesure de plaider de manière convaincante pour une architecture juridique internationale solide, le respect et le renforcement du cadre multilatéral et l’engagement au sein des instances internationales en faveur des droits de l’homme.

Johan Rochel
www.chroniques.ch

Cette chronique a été publiée sur le blog du foraus - Forum de politique étrangère.

lundi 14 mars 2011

Hongrie-Maghreb, et retour

Une photo comme sortie d’un autre temps. Des adultes offrant aux enfants un petit présent. Et la légende, d’une clarté dérangeante à plus d’un demi-siècle de distance : « A Buchs, les enfants réfugiés hongrois reçoivent un cadeau de bienvenue en Suisse.»
On aura beau clamer que comparaison n’est pas raison, la juxtaposition de ces photos sépia et des premières pages de nos quotidiens laisse songeur. Après l’accueil chaleureux de près de 12'000 réfugiés hongrois en 1956, suivis de près par les Tibétains, les Tchécoslovaques, les Chiliens et les boat people vietnamiens, comment expliquer les réactions timides face au Printemps arabe ? Comment expliquer le silence presque bruyant des politiciens de tout bord ? Comment expliquer que l’enthousiasme des médias a cédé sa place aux peurs face à l’arrivée de vagues massives de (prétendus) réfugiés ?

Face à l’urgence de la situation, ces réflexions historiques nous rappellent surtout l’importance d’affirmer des convictions morales fortes. En différenciant les priorités morales des questions de faisabilité pratique et politique, la portée exacte de nos responsabilités apparaîtra plus clairement.
En tant que pays se revendiquant d’une tradition d’asile centenaire, la Suisse se doit d’assurer un accueil digne et humain à toutes les personnes fuyant les persécutions. Un examen individuel des demandes d’asile et le respect des procédures de recours sont les conditions sine qua non d’un accueil digne d’un Etat de droit.
De plus, il est faux de nous mettre dans la peau du spectateur extérieur, montrant de manière souveraine plus ou moins de générosité dans l’accueil de réfugiés. L’Occident – en première ligne l’Europe – n’est pas un agent extérieur, mais bel et bien un acteur de la crise. En soutenant politiquement et matériellement des régimes autoritaires, nous avons pactisé avec des forces peu scrupuleuses. Aujourd’hui, ce sont les victimes de nos anciens « amis » qui demandent notre aide. Nos responsabilités morales n’en sont que plus fortement engagées.
Cette situation à proprement parler exceptionnelle appelle des réponses du même ordre. Notre seul horizon de pensée ne peut être de renvoyer le plus rapidement le plus de migrants possibles. Il relève de notre responsabilité de préparer une réponse à la hauteur des évènements historiques. 2011 marque les 60 ans de la Convention de Genève sur les réfugiés et l’occasion est belle de joindre le geste au symbolique.

Johan Rochel
www.chroniques.ch

vendredi 4 mars 2011

Le bonheur est dans le chemin

Il y a peu, j’ai lu un article portant sur la recherche du bonheur. Après quelques considérations générales, l’auteur en venait à la fameuse rubrique des conseils pratiques. L’un d’eux était aussi simple que surprenant : changer de chemin quotidien pour aller au travail. Intéressé sans être convaincu, j’ai refermé le journal en pensant « Un article de plus sur la recherche du bonheur ».

Le lendemain matin, en enfourchant mon vélo, l’étrange proposition m’est revenue à l’esprit et j’ai décidé de choisir un autre chemin. Je bifurquais alors au premier carrefour, prenant par un quartier résidentiel plutôt que par la voie directe. La première sensation fut celle d’un étrange changement de décor. Ces bâtiments, ces routes et ces gens qui peuplaient mon quotidien à la manière d’un fond d’écran mouvant avaient disparu. Le chauffeur de tram qui use prudemment de son klaxon ? La patronne de pharmacie qui sort son panneau de prix ? Le groupe d’enfants qui se rendent à la crèche ? Tous s’étaient évanouis, comme remplacés à la dernière minute dans le casting de mon parcours quotidien.

Les yeux grands ouverts, j’avançais à travers ces nouvelles contrées. Tout apparaissait sous un jour nouveau. Comme dans un film de Jean-Pierre Jeunet, je me sentais porté par un enthousiasme nouveau auquel il ne manquait guère qu’une musique entrainante. Les détails insolites sautaient à l’œil. Il y avait cet homme marchant pieds nus, l’air hagard. Un peu plus loin, quelques hommes encravatés dégustant une saucisse de veau sur le coup des huit heures et sous l’œil amusé de touristes asiatiques. Au bord du lac, des joggers dans le ciel rosé du matin, étranges silhouettes mouvantes sur fond d’aquarelle.

Arrivé à destination, l’idée paraissait toujours si inoffensive. Le bonheur est-il si proche qu’il suffise de changer de chemin pour le trouver ? Peu à peu, je soupçonnais l’auteur de l’article que j’avais consulté par hasard d’avoir cherché à nous ouvrir les yeux. Le bonheur ne réside-t-il pas dans un changement de perspective sur sa propre vie ? Se regarder sous un angle nouveau pour voir ce que nous sommes, mais pour surtout pour reconnaitre nos potentialités infinies ? Rien ne sert de se placer face au miroir, dans un mouvement d’introspection profond, pour entamer cette réflexion. Il suffit peut-être de changer son chemin quotidien, déclenchant un effet domino dont on ne sait où il mènera. Et si l’idée ne devait pas vous convaincre, chers lecteurs, refermez tranquillement ce magazine et dites à haute voix « Un article de plus sur la recherche du bonheur ».

Johan Rochel
www.chroniques.ch