lundi 31 mars 2008

Et pour toi petite, repassage ou cuisine ?

Heureuse nouvelle ! Depuis deux semaines, une petite puce a fait son apparition dans mon entourage. Soucieux de bientôt lui fournir le meilleur en matière de jouets, je suis allé prospecter du côté d’un grand magasin de la région. Un endroit où se cache peut-être plus que de simples objets d’amusement…
La première impression est essentiellement visuelle. Le rayon jouets se construit au rythme des couleurs. A gauche, l’ambiance se veut bigarrée, quoique dominée par des teintes bleues ou rouges. A droite, le rose l’emporte sans concurrence. Les codes d’une différenciation par la couleur sont donc strictement respectés. Que la petite fille qui n’aime pas le rose passe son chemin !
Trêves de plaisanteries colorées, je suis là pour acheter un cadeau. A l’exception d’une charmante petite trousse de doctoresse, les jouets destinés aux jeunes demoiselles manquent cruellement d’originalité. Toutes de paillettes et de strass, les Barbies tiennent toujours la dragée haute aux petits animaux dont on peut s’occuper tendrement. Mais le plus intéressant est ailleurs. Dans un schéma de reproduction des normes sociales que nul-le sociologue ne saurait manquer, les petites filles sont amenées à jouer avec des objets de ménage ! Dans un emballage attirant, l'heureuse gamine se voit parée tour à tour d'un fer à repasser, d'une machine à laver, d'un set balai-brosse ou d'une cuisinière. Mesdemoiselles, apprenez que la valeur ménagère n’attend pas le nombre des années. De l’autre côté du rayon, un court détour chez les garçons montre que ceux-ci feront carrière dans le bâtiment, la construction, les courses automobiles ou encore la police. Seuls les indétrônables Lego ne se laissent pas facilement attribuer à l’un des sexes.
Une rapide analyse permet de dégager deux tendances de ma petite incursion au pays de l’épanouissement de nos tendres petit-e-s. Les garçons reçoivent des jouets mettant en scène la vie professionnelle et sont, à ce titre, amenés dès leur plus jeune âge à se frotter à l’exercice d’un métier. Aucun signe semblable chez les filles. Ces dernières sont contraintes de franchir la ligne des couleurs pour jouer à la policière.
En plus de la privation d’un accès au monde professionnel, les demoiselles sont encouragées à vaquer à des occupations domestiques. Sans renier d’aucune façon l’importance de ces tâches, je m'étonne de la surprenante capacité des objets ménagers à se trouver exclusivement associés aux figures féminines. La société du 21è siècle continue de jouer avec les clichés.

Johan Rochel

lundi 24 mars 2008

De la responsabilité à Pékin: l'heure est à l'action

Même si j’ai déjà consacré une chronique à ce sujet, la problématique de la responsabilité morale vis-à-vis des JO de Pékin me pousse à (re-)préciser ma position.

Rappelons tout d’abord une banalité, toutefois peu souvent remise en perspective dans les médias: les JO d’été 2008 auront lieu dans un pays qui ne correspond en rien aux idéaux de paix du baron Pierre de Coubertin, initateur des Jeux modernes. L’article 2 des principes fondamentaux de la Charte olympique précise que :

"L'Olympisme est une philosophie de la vie, exaltant et combinant en un ensemble équilibré les qualités du corps, de la volonté et de l'esprit. Alliant le sport à la culture et à l'éducation, l'Olympisme se veut créateur d'un style de vie fondé sur la joie dans l'effort, la valeur éducative du bon exemple et le respect des principes éthiques fondamentaux universels."

On peut certes débattre longuement de la définition exacte des « principes éthiques fondamentaux universels ». Toutefois, peu refuseront d’y inclure ce que nous appellerons le pack minimal, càd un droit à la vie, à des moyens de subsistance minimaux ainsi qu’à une certaine liberté. Pour éviter toute controverse, évitons d’y introduire l’étendue des droits reconnus chez nous à tous les autres humains : droits politiques, liberté de presse, d’expression, d’association,…
Doit-on préciser que le régime communiste chinois ne respecte en aucune manière ce pack minimal des droits de l’homme ? Grâce à quelques témoins encore présents à Lhassa, la situation catastrophique du Tibet est revenue sur le devant de la scène. Que l’arbre ne cache toutefois pas la forêt : les droits les plus basiques de la population chinoise elle-même sont bafoués au jour le jour.

Partant de cette définition du pack minimal des droits de l’homme et du constat catastrophique quant à la situation sur le terrain, il importe de réfléchir à la responsabilité morale que porte chacun. Que l’on soit sportif, journaliste ou simple spectateur, ne rien faire semble moralement condamnable et le signe que notre engagement pour les droits de l’homme est fortement limité. L’exigence d’une action se laisse définir sous trois angles.
Tout d’abord, en tant qu’individu, c’est la reconnaissance qu'il existe une responsabilité morale vis-à-vis des mes égaux. Ne rien faire, ce serait en quelques sortes avouer que certains êtres humains ne méritent pas les mêmes droits que moi.
Deuxièmement, un signal exprimé au sein de nos démocraties sera relayé par nos chefs d’Etat et permettra de faire monter la pression diplomatique sur le gouvernement chinois. Par ce même biais, nous exprimons notre sentiment de sym-pathie à l’égard des minorités oppressées par le géant jaune et qui vivent dans nos contrées*.
Troisièmement, une action permet de montrer que nous ne sommes pas dupes. Si les JO sont très attendus par le gouvernement chinois, c’est parce que l’Olympisme est la meilleure carte de légitimité. Si Pékin accueille les Jeux, alors la Chine rejoint la grande famille des « bonnes » nations. Il importe de montrer que ce n’est pas le cas.

Après avoir affirmé la nécessité d’une action responsable, reste la question de l’attitude à adopter. Soyons clairs : le premier coupable est assurément le CIO. L’institution est incapable de faire respecter les conditions qu’elle a édictées et semble ne pas vouloir prendre une position claire quant à l’oppression chinoise au Tibet. Tout cela touche au scandale et M. Rogge ferait bien de sortir de sa tanière pour affronter la réalité de face.
Par la faute du CIO, les athlètes se trouvent dans une position périlleuse et peuvent de bonne foi faire valoir de bons arguments en faveur de leur participation. Il est très difficile de leur demander de boycotter entièrement les Jeux. En tant que personne humaine, si tant est que les droits de l’homme ne leur soient pas indifférents, ils ne peuvent toutefois passer à côté de l’occasion de transmettre un message clair. Pourquoi ne pas boycotter la cérémonie d’ouverture, s’exprimer en conférence de presse, brandir un drapeau ou que sais-je ? Il importe de simplement exister, et de montrer de manière claire que l’on est conscient de la situation ambivalente dans laquelle on se trouve. Comme le rappelle un excellent article de la NZZ du 19 mars, il n’y a là rien d’exceptionnel. En 1956, la délégation suisse ne prit pas part aux JO de Melbourne, afin de protester contre l’oppression soviétique en Hongrie. En 1976, 28 nations africaines ne se déplacèrent pas à Montréal afin de lutter contre les arrangements du régime d’Afrique du Sud. Et les exemples sont nombreux.
Les acteurs du monde politique doivent également être les premiers à s’engager. Les occasions de faire passer un message sont innombrables. A eux de choisir le bon moment et de ne pas se laisser détourner par le faste du régime chinois. A ce propose, je crois essentiel de ne pas oublier que la Chine ne tient pas seule le couteau par le manche. En particulier sur le plan économique, elle n'est pas en position d'imposer seule ses vues. Comme tous les acteurs d'un monde interconnecté, la Chine a plus que jamais besoin des autres nations.

Ma dernière remarque se veut volontiers provocatrice. Voulons-nous que la génération future porte sur nous un jugement où il serait fait mention de notre inaction et notre incapacité à s’engager pour les droits de l’homme ? Serions-nous alors si différents de ceux qui ont accepté et fêté les Jeux de Berlin en 1936 sans souffler mots ?

Johan Rochel

* La Suisse regroupe la plus grande communauté tibétaine hors Asie.

vendredi 14 mars 2008

21, et profondément humain

A Jean-Charles,

Cette année, la journée mondiale de la trisomie tombe précisément Vendredi Saint. Marquer cette date me tient à cœur, puisque j’ai la chance de partager ma vie familiale avec un oncle trisomique. L’occasion est belle de lui rendre un petit hommage.
Je dis chance, car côtoyer une personne trisomique est peut-être le plus extraordinaire révélateur des petits miracles que compte le quotidien. Une façon unique de percevoir le monde qui les entoure, une sensibilité qui ne laisse pas de place à la fausseté au sein des échanges humains, une manière franche d’exposer ses craintes ou envies. Bref, vivre auprès d’un trisomique, c’est prendre le risque permanent d’un regard différent. A n’en pas douter, c’est parfois douloureux, et toujours exigeant.
Observer la vie d’un trisomique, c’est également reconnaître que notre société n’est pas aussi inhumaine que certains voudraient le croire. Depuis sa naissance, mon oncle est soutenu par l’Etat, au travers du fond AI mais également via la mise à disposition d’infrastructures nécessaires à son plein développement. Et pourtant, mon oncle met en échec les raisonnements qui voudraient associer aide sociale à une quelconque « utilité ».
Visitez la Castalie ou le centre de la Meunière, et observez la vie qui s’y déroule. Ces personnes sont-ils utiles à la société ? Si non, méritent-elles vraiment l’aide qui leur est accordée ? La question ne doit pas être posée en ces termes, et c’est l’entier de la perspective qui doit être repensée. Notre société accorde son soutien à des personnes trisomiques non en tant qu’ils sont utiles, mais en tant qu’ils sont des êtres humains. A ce titre, ils possèdent un ensemble de droits, dont le premier leur garantit la possibilité de vivre une vie digne.
Depuis maintenant quelques années, un groupe de trisomiques travaille au centre Coop de Collombey. L’initiative mérite d’être louée, si tant est que les idées qui l’inspirent s’appuient sur une juste base. En effet, affirmer qu’ils travaillent et qu’ils sont de ce fait utiles à la société serait loin de servir la cause des trisomiques. Ils ont le droit d’être soutenus sans calcul d’utilité. A ce titre, considérer leur travail comme une extension d’un droit à l’intégration permet de rendre pleinement compte de leur statut d’être humain.
L’exemple particulièrement frappant des trisomiques se laisse bien sûr étendre à tous les membres de la société. Tous ont droit à un respect des droits fondamentaux, abstraction faite de tout ce qu’ils apportent ou n’apportent pas à la société.

Johan Rochel

dimanche 2 mars 2008

Thomas Minder et la justice sociale

Thomas Minder a réussi son pari : dans les délais impartis, il est parvenu à récolter près de 120'000 signatures pour son initiative contre les rémunérations abusives. Celle-ci exige notamment plus de possibilités de contrôle confiées à l’AG, ainsi que l’interdiction des parachutes dorés.
Si l’initiative a connu un relatif succès, c’est certainement parce qu’elle corrobore une intuition que beaucoup partagent : la situation actuelle des hauts managers déplait sous plusieurs aspects. Tout d’abord, la notion de mérite semble ne plus être en mesure d’expliquer de criantes disparités. Sur ce point, le cas Marcel Ospel ne cesse de provoquer des interrogations. Si l’on admet qu’il mérite son salaire lorsque les affaires vont bien – ce que beaucoup contesteront déjà -, comment justifier ce même traitement lorsque le business prend l’eau ?
Quel critère pourrait nous permettre de délimiter là où commence l’injustice ? On semble prêt à accepter l’existence d’inégalités, dans la mesure où celles-ci sont à l’avantage de tous. En plus de la notion de mérite, c’est une intuition de ce type qui nous pousse à dire que le salaire de Marcel Ospel est injuste. En effet, possède-t-il des effets positifs pour la société en générale, et les plus mal lotis en particulier ?
Peu de gens professent aujourd’hui un égalitarisme brutal, où les avoirs de chacun devraient être strictement égalisés. En tolérant certaines inégalités, nous faisons le pari que le niveau de vie de l’ensemble de la société augmente. C’est cette idée qui forme le cœur de la pensée du philosophe John Rawls, présentée dans son maître ouvrage Une théorie de la justice (1971). Selon lui, il doit exister une relation de type équitable entre les extrêmes de l’échelle sociale. Le groupe le plus haut placé peut s’enrichir tant qu’il le souhaite, si tant est que ces disparités favorisent d’une manière ou d’une autre le groupe situé à l’autre extrême.
On peut comprendre l’initiative de Thomas Minder dans un sens semblable. Les hauts salaires ont perdu tout sens des réalités et n’apportent en aucune manière un plus à l’actif des plus défavorisés. Le système doit alors être réformé, afin que le critère de justice sociale comme équité retrouve une place qui lui est due.
Johan Rochel