samedi 24 janvier 2009

Science et climat : le retour du politique ?

Première partie d'une double chronique sur le changement climatique


Ecrire et prendre position sur la question du changement climatique n’est pas chose aisée, car la base même de la discussion se laisse difficilement posée. Avant d’aborder les réactions face au défi climatique dans ma prochaine chronique, discutons ici la base scientifique, pré requis d’un débat fructueux.

Doit-on faire confiance au rapport de 2007 du Groupe d’experts Intergouvernemental pour l’évolution du Climat des Nations-Unies (GIEC) ? Beaucoup s’en plaignent, dénonçant l’étouffement des voix scientifiques critiques et l’idéologie verte mise en place. Ces sceptiques ont l’avantage de rappeler que les systèmes étudiés se caractérisent par leur complexité et qu’il est souhaitable que la communauté scientifique critique avec vigueur les hypothèses avancées. Il est essentiel que les voix dissidentes puissent se faire entendre sans être clouées au pilori car, comme l’a montré Karl Popper, la science progresse par la mise en doute incessante des hypothèses avancées.

Le rapport du GIEC a toutefois plusieurs avantages, qui font de lui une base de discussion solide. Premièrement, il rassemble un nombre très conséquent de scientifiques, provenant des régions les plus diverses. Au moment de discuter un défi véritablement global, cette caractéristique possède une grande importance. Deuxièmement, il serait faux de croire que seuls les scientifiques ont influé sur sa rédaction. Le rapport est passé au travers d’un véritable processus de passoire politique. Dans cette phase intense de négociations, il n’est plus question de vérités scientifiques, mais plutôt d’intérêts, financiers ou géostratégiques par exemple. Et vu que chaque parti tente d’influencer la décision à son propre avantage – les Etats-Unis cherchant par exemple à limiter l’importance de tel paramètre dans l’analyse finale, afin de limiter leur responsabilité future –, il y a fort à parier que le résultat d’une telle procédure soit fortement conservateur. Il en va de manière semblable avant une prise de position officielle du conseil de sécurité de l’ONU, où la Chine va par exemple chercher par tous les moyens à minimiser la gravité et/ou l’importance des manifestations tibétaines. Les thèses osées et les prévisions peu sûres ne survivent pas à une telle étape. Vu que le GIEC s’occupe officiellement d’analyser et de rassembler les mesures et recherches existantes, c’est surtout sur la question du poids politique et du coefficient de certitude que le politique peut faire entendre sa voix. Par ce biais, les décideurs influent également la distribution des responsabilités et devoirs liés au changement climatique.
Troisièmement, le rapport du GIEC est fondamental pour penser en terme de principe de précaution. Si les experts, après passage au crible du politique, décrivent la situation actuelle en des termes précis, il relèverait de la malhonnêteté intellectuelle que de nier qu’il y a pour le moins une possibilité que les choses se développent dans la fourchette prévue (par ex. l’augmentation de la température). Face à l’existence de cette possibilité, et au vu des conséquences d’une telle prévision, le principe de précaution nous enjoint à prendre les mesures nécessaires, et ce même en restant sceptique face aux travaux du GIEC.

Johan Rochel
www.chroniques.ch

lundi 5 janvier 2009

Commencer 2009 avec Orwell


La chronique de l’an nouveau possède un goût bien particulier. En ces temps rituels d’un nouveau départ, affranchi des vieilles torpeurs et propre à stimuler des projets inédits, la chronique donne le ton d’une re-naissance attendue avec impatience. Dans cet esprit, je n’ai trouvé meilleure entame qu’une petite piqûre de rappel administrée par George Orwell lui-même. Défenseur engagé de la liberté de pensée, l’auteur de 1984 ou de la Ferme des animaux - deux des plus marquantes fictions politiques du 20ème siècle - n’a rien perdu de sa superbe.
Comme l’expliquait le toujours excellent supplément culturel du journal Le Temps dans une édition récente, Georges Orwell fut un pratiquant convaincu de la chronique de société. Futiles ou importants, tous les sujets méritaient leur juste place dans ses courtes critiques des petites habitudes de la société anglaise. Le « je » qu’employait Orwell symbolisait plus que tout autre élément la radicale liberté de pensée du chroniqueur.
En usant de la première personne, l’auteur met en avant son honnêteté intellectuelle, exposant ses idées au feu croisé de tous ses détracteurs. Plus encore que la critique, il se place au-delà des avis bien entendus et des discours répétés, tentant d’apporter un éclairage propre sur le cours du monde. L’exercice peut paraître présomptueux ; il a toutefois le mérite de ne pas transiger sur l’exigence du penser par soi-même.
Comme l’écrit Orwell de manière cinglante, « le véritable ennemi, c’est l’esprit réduit à l’état de gramophone, et cela reste vrai que l’on soit d’accord ou non avec le disque qui passe à un certain moment. » Répéter des opinions comme le lecteur de disque émet des sons, c’est l’abandon de notre faculté de penser. Au 18ème siècle, le philosophe allemand Emmanuel Kant avait déjà formulé le principe premier de l’esprit des Lumières : « Aie le courage de penser par toi-même ». Plus qu’une simple possibilité, cet appel prend la forme d’une exigence pour qui veut penser de manière autonome et responsable.
Guidé par cette quête de liberté de vues et d’esprit jamais terminée, le « je » d’Orwell ne fait pas de quartier sur le terrain du combat d’idées. Dans cette tradition, c’est également à vous lecteurs de piquer au vif le chroniqueur qui tend à s’oublier. Certains l’ont fait en 2008, et il ne me reste qu’à espérer que beaucoup d’entre vous prendront la plume en 2009. A nous tous, je souhaite de fructueux échanges.

Johan Rochel
www.chroniques.ch