lundi 28 janvier 2008

Combien de conseillers communaux faut-il à Monthey ?


Le 24 février prochain, les citoyens montheysans devront se prononcer sur une éventuelle baisse du nombre de leurs conseillers municipaux (actuellement 15). Trois possibilités sont débattues : le statu quo, la baisse à 9 et la baisse à 7 conseillers.
Le nombre de 15 conseillers actuellement en place fait figure de record à l’échelle nationale. Un argument principal devrait convaincre à ramener ce nombre à la baisse : le souci d’assurer une meilleure gouvernabilité. Un exécutif composé d’autant de conseillers, c’est dans les faits un deuxième petit Parlement, où tous les objets discutés en plénière ou en commission par le conseil général sont retravaillés. Conduire de manière efficace et cohérente une commune à 9 ou 7 personnes est chose infiniment plus facile.
De plus, abaisser le nombre de conseillers, c’est assurer un meilleur système de contrôles mutuels entre les différents acteurs. Tout d’abord, c’est moins de pouvoir concentré dans les mains du seul président de commune. Son pourcentage d’activité augmente en effet moins que proportionnellement par rapport aux conseils restant. Chaque conseiller « pèserait » plus lourd face au président. Dans la même veine, c’est également moins de pouvoir pour les chefs de service. Dans le système actuel, un chef de service traite avec 2 ou 3 municipaux sur certains dossiers. Profitant de ce fractionnement, il possède de larges moyens d’imposer sa vision des choses. Abaisser le nombre de conseillers, c’est se diriger vers une formule : 1 conseiller, 1 chef de service. Dans une perspective démocratique, un transfert de pouvoir de l’administration vers des élus est toujours à encourager.

Certaines voix critiques n’hésiteront pas à brandir l’argument que le conseil municipal a déjà fonctionné à taille réduite début des années nonante, avant de remonter à 15. Cette évolution ne s’explique toutefois pas sous l’angle du fonctionnement de l’institution mais sous l’angle d’un conflit de politicards, certaines voix souhaitant faire machine arrière.
Ce rappel d’une histoire bien récente pourrait peut-être nous apporter quelques éléments de réflexion intéressants pour trancher entre 7 ou 9 conseillers municipaux. Outre les calculs partisans – chaque parti calculant combien de représentants il lui resterait -, une réflexion en terme d’intégration des minorités pourrait s’avérer fructueuse. Voter 7 sièges, c’est fermer la porte de l’exécutif aux partis minoritaires. Voter 9 sièges, c’est laisser une porte ouverte d’un ou deux sièges à ces petits partis. Il est alors possible de supposer que cette stratégie diminuerait leur capacité de blocage du système. Offrir un siège à un parti minoritaire, c’est s’assurer de pouvoir le contrôler de l’intérieur. Etant donné qu’il fait partie de l’exécutif, il est bien plus difficile pour lui de critiquer l’ensemble du conseil.
Depuis 1848, la Suisse s’est construite sur ce modèle d’intégration et de neutralisation des minorités. Lorsque les Radicaux acceptent le premier conseiller fédéral PDC (alors parti catholique-conservateur) en 1891, c’est exactement dans le but de le rendre co-responsable de la politique du conseil fédéral et d’ainsi affaiblir les capacités de bloquage des cath.-conservateurs (depuis 1874, ils jouissent du droit de referendum)*. L’entrée du premier socialiste en 1943 répondra de la même logique. Une stratégie semblable peut s’appliquer à l’échelle montheysanne. Et dans ce sens, elle permettrait peut-être d’éviter des heures futures douloureuses.

Johan Rochel


* En plus d’accepter l’entrée d’un « nouveau » parti au conseil fédéral, les Radicaux confièrent à Joseph Zemp (cath.-cons.) le douloureux dossier des chemins de fer et grands travaux alpins. Ces projets étaient alors combattus par les cath.-cons. Confier ces problématiques au nouveau conseil fédéral Zemp représentait un coup stratégique gagnant afin de l’obliger - contre son propre parti - à défendre la vue et les projets du conseil fédéral

mardi 22 janvier 2008

Et si on parlait futur ?


A quoi ressembleront le monde et la société dans lesquels nous vivons dans une, deux ou trois générations ? C’est sur la base d’une question apparemment banale que l’on peut construire une sorte d’obligation morale pour les générations présentes. Puisqu’ils seront des êtres humains, les personnes qui vivront dans le futur ont droit à notre respect : nous nous devons de leur garantir la possibilité de mener une vie acceptable.

Comment remplir notre devoir et permettre à nos décisions d’aujourd’hui d’avoir un impact positif (ou pour le moins neutre) sur la vie de demain, tant sur le plan environnemental, économique que social (les trois dimensions du développement durable) ? Une proposition très intéressante – surtout débattue en Allemagne – consisterait à donner plus d’incitatifs à nos institutions politiques afin qu’elles soient « forcées » de prendre en considération le long terme. En ce sens, la tendance au court terme qui caractérise le fonctionnement de la structure de prise de décisions serait amoindrie et la pesée d’intérêts pour le futur deviendrait un passage obligé.
Cette idée a pris le nom de conseil du futur, symbolisant le poids nouveau que l’on souhaite donner aux générations à venir. Son principe est simple : le conseil est composé de « représentants » qui vont agir et décider en fonction des intérêts des générations futures, encore logiquement exclues des processus de décision. Des conseils du futur peuvent être mis en place à n’importe quel niveau. En Suisse, on en trouve quelques uns au niveau communal (www.zukunftsrat.ch), et plusieurs propositions ont été formulées au niveau cantonal (notamment dans la nouvelle constitution du canton de Vaud) ou fédéral. Au niveau mondial, visitez le site internet suivant : www.worldfuturecouncil.org.

Les questions ne manquent toutefois pas. Comment éviter un abus de pouvoir du futur sur le présent ? Qui est à même de se dire « représentant » des générations futures ? Comment savoir quels seront leurs intérêts ? Afin d’indiquer une piste de réflexion, l’action d’un conseil du futur devrait respecter un principe: le souci d’offrir un maximum de libertés aux générations à venir afin qu’elles puissent déterminer à leur guise la vie qu’elles souhaitent mener.

Johan Rochel

mercredi 16 janvier 2008

Culotte de cheval et Simone de Beauvoir

Impossible de la manquer : ces derniers temps, Simone de Beauvoir est partout ! La philosophe française fêterait ces derniers jours le centenaire de sa naissance.
La présente chronique ne veut pas empoigner le thème de la destinée du féminisme façon « Deuxième sexe ». Le sujet mérite une réflexion de fond, tant certains aspects de sa pensée sont restés actuels. Nous y reviendrons dans une prochaine chronique. Le texte que vous parcourez en ce moment se veut plus léger, plutôt placé sous l’égide du « coup de gueule ».

La semaine passée, Le nouvel observateur, sacrifiant à la vague d’hommages rendus à Simone de Beauvoir, faisait paraître en une la célèbre photo de nue de la Française. Le cliché la montre de dos, entièrement nue, en train de se recoiffer face à un petit miroir (photographie originale de Art Shay, réalisée dans les années 50’).
Jusque là, on ne retiendrait que la volonté évidente d’attirer le lecteur avec une page de une percutante. Malheureusement (nous nous demanderons plus loin si cet adverbe est encore de mise), les graphistes du Nouvel Obs’ ont jugé utile et à propos de modifier la photo de Simone de Beauvoir. Il y a quelques modifications techniques (éclairage, ambiance de la pièce), qu’on pourrait admettre pour des raisons d’exigence de qualité d’une page de une. Par contre, difficile d’expliquer la disparition de boutons sur les fesses, de quelques rondeurs de cuisse et d’un peu de culotte de cheval.
Comment qualifier cette action ? On aimerait tellement qu’il existe d’autres explications qu’un simple diktat esthétique de nos canons de la beauté. A-t-on vraiment modifié Simone pour la faire ressembler à ce que nous nous représentons aujourd’hui quand nous pensons à une belle femme ? Le simple fait de le dire a quelque chose de pathétique et d’effrayant*.
A mon sens, le fait le plus significatif de cette triste affaire se trouve résumé dans sa simple possibilité. Je me représente l’affaire en ces termes : un numéro spécial dédié à Simone de Beauvoir est décidé au sein de la rédaction du Nouvel Obs’. Elle décide de jouer son va-tout en plaçant la photo de nue en une. Et là, à ce moment très précis, une personne se dit qu’elle pourrait modifier le cliché et gommer quelques imperfections physiques de Simone de Beauvoir, icône du mouvement de libération de la femme. C’est la possibilité de cette pensée – cette permission dont le graphiste s’est senti investi - qui prouve à quel point les images modifiées et retouchées que nous renvoient les médias et la publicité font désormais partie de notre quotidien. La terrible banalité de ce qui vient d’être dit montre également à quel point nous nous sommes habitués à ces mensonges photographiques.
Se pose alors une question radicale : qui est cette personne sur la photo de une du Nouvel Obs’ ? Si l’on admet qu’il s’agit de Simone de Beauvoir, alors n’importe qui peut être n’importe qui. Grâce à quelques modifications, j’ai tôt fait de ressembler à qui vous souhaitez. Qualitativement, il n’y a aucune différence entre les deux processus. Seule la question du nombre de modifications est en jeu. Comme pour toutes les personnes souriantes que l’on découvre sur papier glacé, il faut se résoudre à une réponse étrange, aux conséquences encore floues : ces personnes n’existent pas dans « notre » réalité (je dis « notre » réalité pour signifier qu’elles existent dans une réalité, mais pas la notre**). La personne sans boutons sur les fesses et avec moins de culotte de cheval n’est pas Simone de Beauvoir. Elle n’en est qu’une pâle déclinaison, à défaut d’avoir un meilleur terme.

Johan Rochel


* L’affaire atteint un paroxysme d’ironie quand la retouche concerne l’icône féministe du 20è siècle. Détail amusant : Sartre avait déjà vu sa cigarette disparaître d’une photo, lors d’une exposition qui lui était consacré il y a quelques années en France. Les chasseurs de sorcière s’acharneraient-ils sur le couple ?
** Je laisse ces questions de « différentes » réalités de côté. Dès que l’on quitte le niveau intuitif, de nombreuses difficultés apparaissent rapidement. Pour le sujet du jour, une formulation intuitive devrait suffire.

vendredi 4 janvier 2008

Photo du Conseil fédéral: souriez !


Pascal Couchepin a entamé son année présidentielle en présentant un message clair. Une fois n’est pas coutume, celui-ci a pris corps dans la photo 2008 du Conseil fédéral.
On y découvre les 7 sages et la chancelière fédérale placés au milieu d’une centaine de quidams, échantillon représentatif d’une population suisse bigarrée. Homme-femme, personnes de couleur, générations, handicapés : nombre de clivages y trouvent une expression, augmentant l’impression que personne n’a été laissé sur la touche. Afin de différencier les membres du collège, seuls ceux-ci ont été autorisés à regarder l’objectif placé au-dessus de la foule.

Plus qu’aucun autre des portraits officiels, le fameux cliché s’inscrit dans un des mythes fondateurs de l’Etat helvétique : l’idéalisation du rapport entre le peuple et ses représentants. Quoique cette idéalisation soit commune à toutes les démocraties représentatives (càd toutes les démocraties actuelles), elle imprègne particulièrement la Suisse et son système politique de milice.

Selon cette lecture (qui n’est pas seule possible, s’entend bien), plus que de leurs compétences ou d’autres éléments (comme, par ex., la richesse), les représentants du peuple tirent leur légitimité du fait qu’ils viennent du peuple, qu’ils sont issus du sérail : en un mot, qu’ils sont le peuple. A ce titre, ils peuvent légiférer et délibérer au nom du peuple souverain.
On comprend pourquoi le système de milice s’inscrit à merveille dans ce cadre de légitimation. Exprimé sous la forme de la caricature, cela donne à peu près ceci : employé, patron, paysan le matin, parlementaire l’après-midi. Plus on descend vers l’échelon communal, plus cette exagération rejoint la réalité. A cette milice s’oppose l’idée d’un politicien professionnel, formé dans une haute école spécifique et comme séparé des intérêts du peuple (ex. de la France).

Il importe de ne pas être dupe et de rappeler qu’il s’agit là d’un mythe fondateur. En aucun cas, le Parlement fédéral (par ex.) ne représente l’entier de la population suisse. Certaines professions, couches sociales, niveaux de formation sont très clairement sur-représentés dans les hémicycles fédéraux*. Je ne discute pas ici la valeur de cet état de fait mais en propose une simple description.
Pourquoi est-ce ainsi ? Il existe avant tout une explication structurelle. Le mécanisme des élections (le choix de quelques uns par la multitude) aboutit nécessairement au choix d’une élite. Je ne discute pas ici la question de savoir quelle élite ni de la qualité de celle-ci. Sont pointés du doigt la structure et le mécanisme inhérents à toute procédure élective.

Les élites entretiennent toutefois le mythe de la représentation. A titre d’exemples, on se rappelle les clichés montrant Moritz Leuenberger voyageant en 2è classe, parmi le peuple. Un homme comme les autres. A l’inverse, on a très peu vu de clichés de la vie du milliardaire Blocher dans son château. Difficile en effet de concilier possession d’un fief et identification au peuple**.
Il est intéressant de noter que cette exigence de représentation a atteint en Suisse le Conseil fédéral, alors que celui-ci n’est pas censé représenter le peuple. Comme l’ont prouvé les évènements de décembre 2007, le collège fédéral est l’élu du Parlement. Il ne connaît donc qu'indirectement une exigence de représentation.

Pour terminer cette chronique, je souhaiterais évoquer brièvement une toute autre lecture de l’idéal du rapport peuple-représentants (à l’inverse de celle défendue par le cliché 2008 du Conseil fédéral).
Selon cette autre lecture, la représentation ne doit pas être le fruit de l’idéalisation du lien entre le peuple et les représentants. Plus elle s’en éloigne, meilleure sera la situation pour tous. La représentation joue ici un rôle de filtre : elle permet de purifier les volontés politiques de toutes traces de l’intérêt personnel. En s’éloignant des individus (car une foule choisit quelques personnes), on s’approche plus facilement du bien commun***.

Johan Rochel


* Par ex., les professions des Parlementaires: http://www.parlament.ch/F/dokumentation/in-statistiken-tabellen/Pages/in-st-berufe.aspx
** La surprise avait par contre été grande de découvrir Christophe Blocher et sa femme protégés par une dizaine de gardes lors de la manifestation bernoise qui avait précédé les élections fédérales. Etait-il encore vraiment un homme du peuple ?
*** Fin 18è, ce débat a fait rage lors du vote de la Constitution américaine. Les Federalist et les Antifederalist bataillaient sur cette question. La position présentée ci-dessus est celle des Federalist.