vendredi 4 janvier 2008

Photo du Conseil fédéral: souriez !


Pascal Couchepin a entamé son année présidentielle en présentant un message clair. Une fois n’est pas coutume, celui-ci a pris corps dans la photo 2008 du Conseil fédéral.
On y découvre les 7 sages et la chancelière fédérale placés au milieu d’une centaine de quidams, échantillon représentatif d’une population suisse bigarrée. Homme-femme, personnes de couleur, générations, handicapés : nombre de clivages y trouvent une expression, augmentant l’impression que personne n’a été laissé sur la touche. Afin de différencier les membres du collège, seuls ceux-ci ont été autorisés à regarder l’objectif placé au-dessus de la foule.

Plus qu’aucun autre des portraits officiels, le fameux cliché s’inscrit dans un des mythes fondateurs de l’Etat helvétique : l’idéalisation du rapport entre le peuple et ses représentants. Quoique cette idéalisation soit commune à toutes les démocraties représentatives (càd toutes les démocraties actuelles), elle imprègne particulièrement la Suisse et son système politique de milice.

Selon cette lecture (qui n’est pas seule possible, s’entend bien), plus que de leurs compétences ou d’autres éléments (comme, par ex., la richesse), les représentants du peuple tirent leur légitimité du fait qu’ils viennent du peuple, qu’ils sont issus du sérail : en un mot, qu’ils sont le peuple. A ce titre, ils peuvent légiférer et délibérer au nom du peuple souverain.
On comprend pourquoi le système de milice s’inscrit à merveille dans ce cadre de légitimation. Exprimé sous la forme de la caricature, cela donne à peu près ceci : employé, patron, paysan le matin, parlementaire l’après-midi. Plus on descend vers l’échelon communal, plus cette exagération rejoint la réalité. A cette milice s’oppose l’idée d’un politicien professionnel, formé dans une haute école spécifique et comme séparé des intérêts du peuple (ex. de la France).

Il importe de ne pas être dupe et de rappeler qu’il s’agit là d’un mythe fondateur. En aucun cas, le Parlement fédéral (par ex.) ne représente l’entier de la population suisse. Certaines professions, couches sociales, niveaux de formation sont très clairement sur-représentés dans les hémicycles fédéraux*. Je ne discute pas ici la valeur de cet état de fait mais en propose une simple description.
Pourquoi est-ce ainsi ? Il existe avant tout une explication structurelle. Le mécanisme des élections (le choix de quelques uns par la multitude) aboutit nécessairement au choix d’une élite. Je ne discute pas ici la question de savoir quelle élite ni de la qualité de celle-ci. Sont pointés du doigt la structure et le mécanisme inhérents à toute procédure élective.

Les élites entretiennent toutefois le mythe de la représentation. A titre d’exemples, on se rappelle les clichés montrant Moritz Leuenberger voyageant en 2è classe, parmi le peuple. Un homme comme les autres. A l’inverse, on a très peu vu de clichés de la vie du milliardaire Blocher dans son château. Difficile en effet de concilier possession d’un fief et identification au peuple**.
Il est intéressant de noter que cette exigence de représentation a atteint en Suisse le Conseil fédéral, alors que celui-ci n’est pas censé représenter le peuple. Comme l’ont prouvé les évènements de décembre 2007, le collège fédéral est l’élu du Parlement. Il ne connaît donc qu'indirectement une exigence de représentation.

Pour terminer cette chronique, je souhaiterais évoquer brièvement une toute autre lecture de l’idéal du rapport peuple-représentants (à l’inverse de celle défendue par le cliché 2008 du Conseil fédéral).
Selon cette autre lecture, la représentation ne doit pas être le fruit de l’idéalisation du lien entre le peuple et les représentants. Plus elle s’en éloigne, meilleure sera la situation pour tous. La représentation joue ici un rôle de filtre : elle permet de purifier les volontés politiques de toutes traces de l’intérêt personnel. En s’éloignant des individus (car une foule choisit quelques personnes), on s’approche plus facilement du bien commun***.

Johan Rochel


* Par ex., les professions des Parlementaires: http://www.parlament.ch/F/dokumentation/in-statistiken-tabellen/Pages/in-st-berufe.aspx
** La surprise avait par contre été grande de découvrir Christophe Blocher et sa femme protégés par une dizaine de gardes lors de la manifestation bernoise qui avait précédé les élections fédérales. Etait-il encore vraiment un homme du peuple ?
*** Fin 18è, ce débat a fait rage lors du vote de la Constitution américaine. Les Federalist et les Antifederalist bataillaient sur cette question. La position présentée ci-dessus est celle des Federalist.

2 commentaires:

Anonyme a dit…

Cher Johan

Analyse intéressante que celle de la photo du conseil fédéral. Certes tu n’« en propose (qu’)une simple description », mais cette description suggère beaucoup de sous-entendus critiques au système de milice, que je me dois de défendre.

Soit, le parlement ne représente pas toutes les couches sociales, professions et niveaux de formation. Mais quelqu’un en a-t-il jamais douté ? Car pourquoi accorderait-on un droit de référendum au peuple, si le parlement le représentait parfaitement ?
Non, le parlement n’est (heureusement) pas à l’image du peuple, car il a besoin de « l’élite » comme tu l’appelles, pour mener le pays et proposer les meilleures lois possibles pour que la société fonctionne au mieux. Mais cette « élite » à tendance à s’emballer comme nous le rappelle si bien le refus répété d’adhésion à l'espace économique européenne par le peuple (alors que le parlement l'avait largement acceptée).

Alors, si le peuple a le dernier mot de toute façon, à quoi sert le système de milice ?
Premièrement, le peuple ne peut pas décider de toutes les questions. Des questions essentielles comme le budget ou les dépenses extraordinaires ne peuvent (malheureusement) pas être décidées par le peuple.
Deuxièmement, par souci d’efficacité, un référendum doit être l’exception, pas la règle. Le plus les choix du parlement sont conformes à la volonté du peuple, plus efficace sera le système, parce qu’il réduira la besoin de référendum au minium.

Le mieux le peuple est représenté au sein du parlement, le plus conforme à la volonté populaire seront les lois que celui-ci propose. Et la représentation actuelle n’est, à mon avis, pas si mauvaise que cela. Certes, les managers et juristes représentent presque un tiers du conseil national à eux seuls, mais sur toutes les professions listées, seules deux n’y trouvent aucun représentant. Peut-on en dire de même des parlements professionnels ? Les manifestations régulières contre les décisions du gouvernement français me portent à croire que non.

Amicalement

Mikael

Johan Rochel a dit…

Merci pour cette réacion Mikael,

Il ne faut pas lire ma chronique comme une critique du système de milice. C'est exactement ce que je voulais dire quand je disais vouloir n'en proposer qu'une "description". Loin de moi également le souhait de remettre en question le système de contrôle mutuel sur lequel repose le système politique suisse et ses outils de démocratie semi-directe.

Je souhaite simplement critiquer le fait que certains (difficile de dire qui, sûrement certains membres de l'"élite", soucieux d'assurer une plus grande légitimité à leurs actions) entretiennent le mythe de cette représentation. C'est ce flou de pseudo-légitimité que je souhaitais mettre au centre de la chronique, non le système de milice.

J'ajouterai que je suis entièrement de ton avis concernant la nécessité de voir le pays dirigé par des élites, au sens de personnes étant les plus aptes. Tant que celles-ci sont contrôlées, les dangers d'emballement sont limités.