mardi 22 janvier 2008

Et si on parlait futur ?


A quoi ressembleront le monde et la société dans lesquels nous vivons dans une, deux ou trois générations ? C’est sur la base d’une question apparemment banale que l’on peut construire une sorte d’obligation morale pour les générations présentes. Puisqu’ils seront des êtres humains, les personnes qui vivront dans le futur ont droit à notre respect : nous nous devons de leur garantir la possibilité de mener une vie acceptable.

Comment remplir notre devoir et permettre à nos décisions d’aujourd’hui d’avoir un impact positif (ou pour le moins neutre) sur la vie de demain, tant sur le plan environnemental, économique que social (les trois dimensions du développement durable) ? Une proposition très intéressante – surtout débattue en Allemagne – consisterait à donner plus d’incitatifs à nos institutions politiques afin qu’elles soient « forcées » de prendre en considération le long terme. En ce sens, la tendance au court terme qui caractérise le fonctionnement de la structure de prise de décisions serait amoindrie et la pesée d’intérêts pour le futur deviendrait un passage obligé.
Cette idée a pris le nom de conseil du futur, symbolisant le poids nouveau que l’on souhaite donner aux générations à venir. Son principe est simple : le conseil est composé de « représentants » qui vont agir et décider en fonction des intérêts des générations futures, encore logiquement exclues des processus de décision. Des conseils du futur peuvent être mis en place à n’importe quel niveau. En Suisse, on en trouve quelques uns au niveau communal (www.zukunftsrat.ch), et plusieurs propositions ont été formulées au niveau cantonal (notamment dans la nouvelle constitution du canton de Vaud) ou fédéral. Au niveau mondial, visitez le site internet suivant : www.worldfuturecouncil.org.

Les questions ne manquent toutefois pas. Comment éviter un abus de pouvoir du futur sur le présent ? Qui est à même de se dire « représentant » des générations futures ? Comment savoir quels seront leurs intérêts ? Afin d’indiquer une piste de réflexion, l’action d’un conseil du futur devrait respecter un principe: le souci d’offrir un maximum de libertés aux générations à venir afin qu’elles puissent déterminer à leur guise la vie qu’elles souhaitent mener.

Johan Rochel

3 commentaires:

Johan Rochel a dit…

Je profite du présent commentaire pour développer quelque peu les points critiques élevés ci-dessus.

Un des enjeux central pour qui veut créer un conseil du futur se trouve être la réflexion sur le pouvoir dont jouira cette institution. On balance sans cesse entre deux pôles, à savoir un organe purement consultatif, dénué de capacité de prise de décision et confiné à être un chambre de conseils, et un organe très puissant, capable d’exercer une dictature du futur sur les décisions présentes.
Dans l’absolu, toutes les décisions que nous prenons aujourd’hui influent d’une manière ou d’une autre le futur. En ce sens, le conseil du futur peut être amené à participer à toutes les décisions.
La solution idéale se trouve quelque part entre ces deux extrêmes. Le besoin de légitimité de l’institution dépend également de la place qu’elle trouve entre ces deux points (faible besoin si organe purement consultatif, fort besoin si réelles possibilités d’influence).

Qui peut se dire représentant des générations futures ? La question est essentielle et on ne peut y répondre qu’en la reliant à la question suivante, à savoir : quels sont les intérêts des générations futures ? Afin de conserver un maximum de libertés aux générations suivantes (qui sait selon quelles valeurs ou avec quels buts elles vivront ?), il importe de seulement agir sur une sorte de « minimum vital », càd les conditions cadres qui rendent la définition d’une société possible. C’est en ce sens que, depuis le rapport Brundtland, les partisans du développement durable souhaitent empêcher que nous épuisions certaines ressources clefs, que les Etats s’endettent et vivent « aux frais » du futur ou encore que des conflits sociaux ou ethniques soient mal résolus et empêchent une paix future.
Dans cette optique, les représentants des générations futures seront les personnes qui sont le mieux à même de conserver et de se battre pour ces conditions cadres. On peut inclure par exemple dans ce conseil des scientifiques (spécialistes de tous domaines, afin de garantir une compréhension interdisciplinaire de la réalité) ou des personnes avec expertise de terrain.

Anonyme a dit…

Salut Johan, je salue l’initiative du blog et profite pour poster mon premier commentaire.

Je pense que tu mets le doigt sur un point très intéressant dans ton commentaire. L'enjeu réside dans le pouvoir accordé à un conseil du futur.

On le sent très bien, un conseil du futur qui aurait un rôle consultatif n'est pas voué à un grand succès. Finalement, les décideurs seraient libres d'écouter ou pas les recommandations du conseil. Pour qu'il soit efficace, ce conseil devrait donc avoir un pouvoir plus ou moins grand.
C’est là, à mon avis, que les difficultés apparaissent. La question que l’on doit se poser est : pourquoi les politiques menées à l’heure actuelle sont-elles guidées par le court terme ? Et la réponse me semble intuitive. Les décisions judicieuses sur le long terme présentent souvent bien des désavantages à court terme et ne font pas bon ménage avec les échéances électorales.

Même si le raisonnement peut paraître pessimiste voire un peu simpliste, je pense que le problème du court et du long terme réside dans le système actuel. Un conseil du futur ayant du pouvoir serait (évidemment) très convoité. Ainsi dans un système démocratique, le peuple serait appelé à choisir ce conseil d’une manière ou d’une autre. Cette démarche démocratique serait périlleuse selon moi car le débat d’idées qu’elle engendrerait nous dépasserait largement. Les manipulations de l’opinion publique qui ont court aujourd’hui, alors que l’on discute du court terme, serait encore plus facile sur le long terme. Ce serait la porte ouverte à Elisabeth Teissier dans la course au conseil du futur…

Plus sérieusement je pense que ce débat est nécessaire mais ne doit pas être instrumentaliser. Il est trop précieux pour qu’il soit repris par les partis politiques. Je n’apporte certes pas de solution miracle mais je pense que ce débat doit être mené de manière délicate. Je n’ai pas encore jeté un coup d’œil sur le site du World Future Council mais je pense que c’est une piste. Le système partisan n’a pas encore trop amoché le système international… ;-)

A bientôt
Gilles

Johan Rochel a dit…

Mon cher Gilles,

Même si je ne partage pas ton pessimisme quant au stade de "pourriture" des partis politiques et de leur capacité de mener une action juste, j'ai parcouru avec grand plaisir ton billet.
Et pour cause...En écrivant un travail de séminaire sur ce sujet, je suis arrivé à des conclusions ressemblantes.

Premièrement, tu as pleinement raison d'affirmer que le système politique actuel ne semble pas dessiné pour prendre en considération de manière efficace les enjeux tournés vers le futur. En ce sens, de nouveaux incitatifs doivent apparaître et c'est d'un changement structurel que ceux-ci peuvent venir.
C'est ainsi par ex. - pour prendre un ex. suisse - qu'Adrian Vatter (2006) a plaidé pour une réforme du conseil des Etats, en ne gardant qu'un seul ministre cantonal et en intégrant des représentants des minorités et des générations futures. Ainsi, et même s'il doit avoir une première période de bloquage, il existe une incitation à prendre en compte l'avenir. Si cet appel n'est pas attendu, le système va vers un bloquage. Selon la thèse sur le système politique suisse développée par Neidhard (1970), l'existence de tels incitatifs devrait conduire à une prise en compte des enjeux du futur plus avant dans le processus de consultation et de décisions.

Deuxièmement, je suis d'accord avec toi pour dire qu'une élection est un moment très délicat, où les partis et les intérêts à court terme ont tendance à se cristalliser. Toutefois, un conseil du futur ne peut faire l'impasse sur une votation populaire, si tant est qu'il veuille disposer de la légitimité nécessaire pour entreprendre ses actions. C'est toute la différence entre le World Future Council (très peu de pouvoir, mais aucun problème de légitimité) et la proposition de Vatter, présentée ci-dessus (beaucoup de pouvoir, gros besoin de légitimité et donc tensions avec le court terme).
Dans mon travail de séminaire (que je tiens volontiers à disposition), je plaide pour une solution différenciée. Ainsi, le concept "conseil du futur" demande à être accepté par le peuple (changement dans la consitution), par contre la mise en forme concrète du conseil (et surtout, qui va y siéger) peut s'éloigner du peuple. Nous pourrions ainsi imaginer que le Parlement choisisse 50% des membres (légitimité indirecte par des élus) et le Conseil fédéral l'autre 50%. De plus, de longues période de législature (plus que le Parlement par ex.) permettraient d'éviter d'éventuels conflits.