mercredi 16 janvier 2008

Culotte de cheval et Simone de Beauvoir

Impossible de la manquer : ces derniers temps, Simone de Beauvoir est partout ! La philosophe française fêterait ces derniers jours le centenaire de sa naissance.
La présente chronique ne veut pas empoigner le thème de la destinée du féminisme façon « Deuxième sexe ». Le sujet mérite une réflexion de fond, tant certains aspects de sa pensée sont restés actuels. Nous y reviendrons dans une prochaine chronique. Le texte que vous parcourez en ce moment se veut plus léger, plutôt placé sous l’égide du « coup de gueule ».

La semaine passée, Le nouvel observateur, sacrifiant à la vague d’hommages rendus à Simone de Beauvoir, faisait paraître en une la célèbre photo de nue de la Française. Le cliché la montre de dos, entièrement nue, en train de se recoiffer face à un petit miroir (photographie originale de Art Shay, réalisée dans les années 50’).
Jusque là, on ne retiendrait que la volonté évidente d’attirer le lecteur avec une page de une percutante. Malheureusement (nous nous demanderons plus loin si cet adverbe est encore de mise), les graphistes du Nouvel Obs’ ont jugé utile et à propos de modifier la photo de Simone de Beauvoir. Il y a quelques modifications techniques (éclairage, ambiance de la pièce), qu’on pourrait admettre pour des raisons d’exigence de qualité d’une page de une. Par contre, difficile d’expliquer la disparition de boutons sur les fesses, de quelques rondeurs de cuisse et d’un peu de culotte de cheval.
Comment qualifier cette action ? On aimerait tellement qu’il existe d’autres explications qu’un simple diktat esthétique de nos canons de la beauté. A-t-on vraiment modifié Simone pour la faire ressembler à ce que nous nous représentons aujourd’hui quand nous pensons à une belle femme ? Le simple fait de le dire a quelque chose de pathétique et d’effrayant*.
A mon sens, le fait le plus significatif de cette triste affaire se trouve résumé dans sa simple possibilité. Je me représente l’affaire en ces termes : un numéro spécial dédié à Simone de Beauvoir est décidé au sein de la rédaction du Nouvel Obs’. Elle décide de jouer son va-tout en plaçant la photo de nue en une. Et là, à ce moment très précis, une personne se dit qu’elle pourrait modifier le cliché et gommer quelques imperfections physiques de Simone de Beauvoir, icône du mouvement de libération de la femme. C’est la possibilité de cette pensée – cette permission dont le graphiste s’est senti investi - qui prouve à quel point les images modifiées et retouchées que nous renvoient les médias et la publicité font désormais partie de notre quotidien. La terrible banalité de ce qui vient d’être dit montre également à quel point nous nous sommes habitués à ces mensonges photographiques.
Se pose alors une question radicale : qui est cette personne sur la photo de une du Nouvel Obs’ ? Si l’on admet qu’il s’agit de Simone de Beauvoir, alors n’importe qui peut être n’importe qui. Grâce à quelques modifications, j’ai tôt fait de ressembler à qui vous souhaitez. Qualitativement, il n’y a aucune différence entre les deux processus. Seule la question du nombre de modifications est en jeu. Comme pour toutes les personnes souriantes que l’on découvre sur papier glacé, il faut se résoudre à une réponse étrange, aux conséquences encore floues : ces personnes n’existent pas dans « notre » réalité (je dis « notre » réalité pour signifier qu’elles existent dans une réalité, mais pas la notre**). La personne sans boutons sur les fesses et avec moins de culotte de cheval n’est pas Simone de Beauvoir. Elle n’en est qu’une pâle déclinaison, à défaut d’avoir un meilleur terme.

Johan Rochel


* L’affaire atteint un paroxysme d’ironie quand la retouche concerne l’icône féministe du 20è siècle. Détail amusant : Sartre avait déjà vu sa cigarette disparaître d’une photo, lors d’une exposition qui lui était consacré il y a quelques années en France. Les chasseurs de sorcière s’acharneraient-ils sur le couple ?
** Je laisse ces questions de « différentes » réalités de côté. Dès que l’on quitte le niveau intuitif, de nombreuses difficultés apparaissent rapidement. Pour le sujet du jour, une formulation intuitive devrait suffire.

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