vendredi 28 septembre 2012

Fenêtre avec vue sur le Valais



Vue de Suisse allemande, l’actualité valaisanne est marquée par des événements, des réactions, des prises de position qui, au mieux, surprennent et au pire, dérangent. En cherchant un dénominateur commun, l’observateur externe en vient à penser qu’il s’agit d’un problème de rapport à l’Autre, à l’étranger. Les deux constellations les plus paradigmatiques, à savoir l’affaire Weber et l’affaire Varone, peuvent être analysées à l’aune de ce prisme. 

La campagne et les suites de la votation Weber ont montré la difficulté du Valais à se mettre à la place de l’Autre. Cet Autre est ici Suisse, mais néanmoins étranger car il appartient à cette construction de la Suisse des « citadins ». Dans l’affaire Varone, l’Autre prend la forme plus classique de ce qui est non-Suisse, allant d’un système juridique qui n’en a que le nom à des mœurs aussi incompréhensibles que stupides. Mais dans cette affaire, l’étranger « suisse » est également présent sous forme de médias trop entreprenants et d’esprits chagrins, venant fouiner les habitudes du vieux pays.

Que faut-il déduire dans ce rapport très tendu à l’étranger ? Comme dans toutes les exacerbations communautaires, il y a négation des identités. C’est le règne du « nous » contre le « eux ». La porte ouverte au Valaisan des clichés, que l’on élabore différemment au gré des situations : tantôt anti-écolo, tantôt anti-turc, toujours fermé et rebelle. Une logique de blocs granitiques irréconciliables se met en place. Dans cette logique, plus de place pour le quart de votants valaisans qui ont soutenu Weber, plus de place pour les médias critiques face à l’attitude d’un magistrat, plus de place pour un Pascal Couchepin demandant des garanties. Les individualités disparaissent au profit d’une majorité à l’esprit grégaire et à la vue bien courte. 

Cette négation des identités s’accompagne d’un discours victimaire que l’on n’a d’autre choix que de boire jusqu’à la lie. Remettre la faute sur le « eux », c’est nier l’apport bénéfique de cet Autre. La logique victimaire et identitaire n’autorise pas les demi-mesures : la Suisse « citadine » est soit avec le Valais, soit contre lui. Comment dès lors réconcilier et penser ensemble la péréquation financière et les avantages que le Valais en tire avec le vote sur l’initiative Weber ?  La logique à l’œuvre ne le permet pas : soit avec, soit contre. Quant aux responsables, ils ont bien sûr tout intérêt à cette prétendue unité dans l’adversité. Sitôt que cette fiction apparaîtra pour ce qu’elle est, une discussion rationnelle sur les fautes commises par certains pourra débuter.

Mais la logique victimaire et identitaire a une conséquence encore plus néfaste : elle oppresse toute capacité de résilience. L’accusation fallacieuse et la flagellation prennent le pas sur l’innovation et les solutions. Comment (oser) repenser le futur ? Il n’y a d’autre choix que de s’engager sur le chemin de l’exercice démocratique véritable. Pas celui qui isole, mais celui qui prend acte que le Valais est membre d’un Etat fédéral, lui-même est au cœur de l’Europe. Pas celui de la voix unique, mais celui de canaux d’informations qui relaient la diversité et la complexité.  Pas celui de l’esprit grégaire, mais celui qui cherche à intégrer et à encourager – et non pas à tolérer – les opinions critiques et dérangeantes. 

Johan Rochel
www.chroniques.ch

lundi 24 septembre 2012

Une leçon de féminisme pour l'automne

Une amie m’a fait parvenir un texte traitant de la compatibilité entre carrière professionnelle et vie de famille. Mon intérêt a déjà été éveillé par le mail lui-même. Mon amie y décrivait comment elle avait découvert le texte et les réflexions troublantes qu’il avait provoquées chez elle. Elle concluait en disant qu’il s’agissait d’une lecture stimulante et intéressante, notamment parce que le texte n’était pas féministe. Je tombe toujours des nues de voir à quel point le féminisme est mal connoté : comment une jeune femme de 30 ans, à l’aube d’une brillante carrière, peut-elle faire circuler un texte sur les problèmes de conciliation entre vie professionnelle et vie de famille tout en se disant non féministe ? Le mot a perdu son sens, laissant tous ceux qui se battent pour plus d’égalité orphelins d’un étendard commun. Il est urgent de forger une nouvelle bannière réunissant femmes et hommes dans un combat pour l’égalité de fait.

Le texte lui-même a également tenu toutes ses promesses ! Écrit par une professeure de droit de la prestigieuse université de Princeton, le texte pose un constat qui devrait inspirer toutes nos discussions politiques : les structures du monde du travail empêchent (toujours) une bonne conciliation entre vies professionnelle et familiale. Les quelques femmes et hommes exceptionnels qui parviennent à coupler de manière satisfaisante ces deux aspects ne devraient pas être transformés en standards. Il s’agit bien souvent de personnalités hors normes. Plutôt que le traditionnel hymne aux modèles, le plaidoyer de l’auteure s’attaque frontalement aux incitatifs mis en place par nos structures : trop de présence obligatoire sur le lieu de travail, culte de l’heure supplémentaire, encouragement à sacrifier sa vie pour l’employeur, voyages incessants. 

Les coûts humains exorbitants d’une carrière professionnelle dans certains secteurs économiques touchent les hommes et les femmes. Certaines entreprises (et les administrations publiques) commencent d’ailleurs à reconnaître ces effets néfastes à mesure que certains talents se détournent de promotions décrites comme étant "aliénantes". Sur le plan de la pression sociale toutefois, les femmes sont touchées de manière particulièrement forte. Les vieux clichés sur le "réflexe" maternel, la nécessité d’enfanter pour "devenir femme" et l’"abandon" des enfants à la crèche (ou pire parfois, au père !) entravent le libre développement personnel. 

Comme promis par mon amie, ce texte a effectivement stimulé mon vieil intérêt pour l’utopie libérale : l’égale liberté pour tous de choisir et de poursuivre sa vie par-delà les contraintes sociales. Pour ma génération, j’en retiens qu’il nous faut poursuivre sans relâche le combat contre les préjugés – également contre ceux qui pèsent sur les pères en devenir ! Battons-nous pour plus de travail à domicile, plus de temps partiel, des structures entrepreneuriales plus souples, des places de crèches et d’écoles de jour. Et pour toutes celles et tous ceux à qui cette chronique semble absurde car la question de la conciliation entre vies professionnelle et familiale ne se pose pas, mais s’impose, battons-nous deux fois plus.

Johan Rochel
www.chroniques.ch

« Why women still can’t have it all », Anne-Marie Slaughter, The Atlantic, July/August 2012