lundi 24 septembre 2012

Une leçon de féminisme pour l'automne

Une amie m’a fait parvenir un texte traitant de la compatibilité entre carrière professionnelle et vie de famille. Mon intérêt a déjà été éveillé par le mail lui-même. Mon amie y décrivait comment elle avait découvert le texte et les réflexions troublantes qu’il avait provoquées chez elle. Elle concluait en disant qu’il s’agissait d’une lecture stimulante et intéressante, notamment parce que le texte n’était pas féministe. Je tombe toujours des nues de voir à quel point le féminisme est mal connoté : comment une jeune femme de 30 ans, à l’aube d’une brillante carrière, peut-elle faire circuler un texte sur les problèmes de conciliation entre vie professionnelle et vie de famille tout en se disant non féministe ? Le mot a perdu son sens, laissant tous ceux qui se battent pour plus d’égalité orphelins d’un étendard commun. Il est urgent de forger une nouvelle bannière réunissant femmes et hommes dans un combat pour l’égalité de fait.

Le texte lui-même a également tenu toutes ses promesses ! Écrit par une professeure de droit de la prestigieuse université de Princeton, le texte pose un constat qui devrait inspirer toutes nos discussions politiques : les structures du monde du travail empêchent (toujours) une bonne conciliation entre vies professionnelle et familiale. Les quelques femmes et hommes exceptionnels qui parviennent à coupler de manière satisfaisante ces deux aspects ne devraient pas être transformés en standards. Il s’agit bien souvent de personnalités hors normes. Plutôt que le traditionnel hymne aux modèles, le plaidoyer de l’auteure s’attaque frontalement aux incitatifs mis en place par nos structures : trop de présence obligatoire sur le lieu de travail, culte de l’heure supplémentaire, encouragement à sacrifier sa vie pour l’employeur, voyages incessants. 

Les coûts humains exorbitants d’une carrière professionnelle dans certains secteurs économiques touchent les hommes et les femmes. Certaines entreprises (et les administrations publiques) commencent d’ailleurs à reconnaître ces effets néfastes à mesure que certains talents se détournent de promotions décrites comme étant "aliénantes". Sur le plan de la pression sociale toutefois, les femmes sont touchées de manière particulièrement forte. Les vieux clichés sur le "réflexe" maternel, la nécessité d’enfanter pour "devenir femme" et l’"abandon" des enfants à la crèche (ou pire parfois, au père !) entravent le libre développement personnel. 

Comme promis par mon amie, ce texte a effectivement stimulé mon vieil intérêt pour l’utopie libérale : l’égale liberté pour tous de choisir et de poursuivre sa vie par-delà les contraintes sociales. Pour ma génération, j’en retiens qu’il nous faut poursuivre sans relâche le combat contre les préjugés – également contre ceux qui pèsent sur les pères en devenir ! Battons-nous pour plus de travail à domicile, plus de temps partiel, des structures entrepreneuriales plus souples, des places de crèches et d’écoles de jour. Et pour toutes celles et tous ceux à qui cette chronique semble absurde car la question de la conciliation entre vies professionnelle et familiale ne se pose pas, mais s’impose, battons-nous deux fois plus.

Johan Rochel
www.chroniques.ch

« Why women still can’t have it all », Anne-Marie Slaughter, The Atlantic, July/August 2012

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