lundi 24 mars 2008

De la responsabilité à Pékin: l'heure est à l'action

Même si j’ai déjà consacré une chronique à ce sujet, la problématique de la responsabilité morale vis-à-vis des JO de Pékin me pousse à (re-)préciser ma position.

Rappelons tout d’abord une banalité, toutefois peu souvent remise en perspective dans les médias: les JO d’été 2008 auront lieu dans un pays qui ne correspond en rien aux idéaux de paix du baron Pierre de Coubertin, initateur des Jeux modernes. L’article 2 des principes fondamentaux de la Charte olympique précise que :

"L'Olympisme est une philosophie de la vie, exaltant et combinant en un ensemble équilibré les qualités du corps, de la volonté et de l'esprit. Alliant le sport à la culture et à l'éducation, l'Olympisme se veut créateur d'un style de vie fondé sur la joie dans l'effort, la valeur éducative du bon exemple et le respect des principes éthiques fondamentaux universels."

On peut certes débattre longuement de la définition exacte des « principes éthiques fondamentaux universels ». Toutefois, peu refuseront d’y inclure ce que nous appellerons le pack minimal, càd un droit à la vie, à des moyens de subsistance minimaux ainsi qu’à une certaine liberté. Pour éviter toute controverse, évitons d’y introduire l’étendue des droits reconnus chez nous à tous les autres humains : droits politiques, liberté de presse, d’expression, d’association,…
Doit-on préciser que le régime communiste chinois ne respecte en aucune manière ce pack minimal des droits de l’homme ? Grâce à quelques témoins encore présents à Lhassa, la situation catastrophique du Tibet est revenue sur le devant de la scène. Que l’arbre ne cache toutefois pas la forêt : les droits les plus basiques de la population chinoise elle-même sont bafoués au jour le jour.

Partant de cette définition du pack minimal des droits de l’homme et du constat catastrophique quant à la situation sur le terrain, il importe de réfléchir à la responsabilité morale que porte chacun. Que l’on soit sportif, journaliste ou simple spectateur, ne rien faire semble moralement condamnable et le signe que notre engagement pour les droits de l’homme est fortement limité. L’exigence d’une action se laisse définir sous trois angles.
Tout d’abord, en tant qu’individu, c’est la reconnaissance qu'il existe une responsabilité morale vis-à-vis des mes égaux. Ne rien faire, ce serait en quelques sortes avouer que certains êtres humains ne méritent pas les mêmes droits que moi.
Deuxièmement, un signal exprimé au sein de nos démocraties sera relayé par nos chefs d’Etat et permettra de faire monter la pression diplomatique sur le gouvernement chinois. Par ce même biais, nous exprimons notre sentiment de sym-pathie à l’égard des minorités oppressées par le géant jaune et qui vivent dans nos contrées*.
Troisièmement, une action permet de montrer que nous ne sommes pas dupes. Si les JO sont très attendus par le gouvernement chinois, c’est parce que l’Olympisme est la meilleure carte de légitimité. Si Pékin accueille les Jeux, alors la Chine rejoint la grande famille des « bonnes » nations. Il importe de montrer que ce n’est pas le cas.

Après avoir affirmé la nécessité d’une action responsable, reste la question de l’attitude à adopter. Soyons clairs : le premier coupable est assurément le CIO. L’institution est incapable de faire respecter les conditions qu’elle a édictées et semble ne pas vouloir prendre une position claire quant à l’oppression chinoise au Tibet. Tout cela touche au scandale et M. Rogge ferait bien de sortir de sa tanière pour affronter la réalité de face.
Par la faute du CIO, les athlètes se trouvent dans une position périlleuse et peuvent de bonne foi faire valoir de bons arguments en faveur de leur participation. Il est très difficile de leur demander de boycotter entièrement les Jeux. En tant que personne humaine, si tant est que les droits de l’homme ne leur soient pas indifférents, ils ne peuvent toutefois passer à côté de l’occasion de transmettre un message clair. Pourquoi ne pas boycotter la cérémonie d’ouverture, s’exprimer en conférence de presse, brandir un drapeau ou que sais-je ? Il importe de simplement exister, et de montrer de manière claire que l’on est conscient de la situation ambivalente dans laquelle on se trouve. Comme le rappelle un excellent article de la NZZ du 19 mars, il n’y a là rien d’exceptionnel. En 1956, la délégation suisse ne prit pas part aux JO de Melbourne, afin de protester contre l’oppression soviétique en Hongrie. En 1976, 28 nations africaines ne se déplacèrent pas à Montréal afin de lutter contre les arrangements du régime d’Afrique du Sud. Et les exemples sont nombreux.
Les acteurs du monde politique doivent également être les premiers à s’engager. Les occasions de faire passer un message sont innombrables. A eux de choisir le bon moment et de ne pas se laisser détourner par le faste du régime chinois. A ce propose, je crois essentiel de ne pas oublier que la Chine ne tient pas seule le couteau par le manche. En particulier sur le plan économique, elle n'est pas en position d'imposer seule ses vues. Comme tous les acteurs d'un monde interconnecté, la Chine a plus que jamais besoin des autres nations.

Ma dernière remarque se veut volontiers provocatrice. Voulons-nous que la génération future porte sur nous un jugement où il serait fait mention de notre inaction et notre incapacité à s’engager pour les droits de l’homme ? Serions-nous alors si différents de ceux qui ont accepté et fêté les Jeux de Berlin en 1936 sans souffler mots ?

Johan Rochel

* La Suisse regroupe la plus grande communauté tibétaine hors Asie.

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