jeudi 4 mars 2010

Le contrat du siècle: la Suisse et les moutons noirs

Session parlementaire oblige, on reparlera sous peu de l’initiative « Pour le renvoi des étrangers criminels ». La fameuse proposition « Moutons noirs » se trouve dans une situation volontiers paradoxale. Une majorité des acteurs politiques s’entendent pour soutenir son principe de base (l’étranger commettant un crime grave doit être renvoyé), tandis qu’une vaste coalition de cette même majorité s’est formée pour combattre le texte de l’UDC au nom de principes supérieurs.

Pour comprendre la force sans pareille de cette initiative, il est nécessaire de revenir à l’idée de base du projet : un contrat social passé entre un pays souverain (la Suisse) et des étrangers souhaitant y séjourner et y vivre. En l’acceptant, l’étranger marque sa volonté de respecter les valeurs fondamentales de l’ordre juridique, politique et sociétal suisse. De son côté, la Suisse affiche sa volonté d’accueillir le mieux possible cette personne, en respectant tout particulièrement la garantie de non-discrimination.

Même si l’argument de base de type contrat social s’avère extrêmement puissant, il n’en demeure pas moins que nous assistons à une « absolutisation » de l’idée du contrat Suisse-étrangers. Le lien entre les deux parties du contrat est en quelques sortes « sacralisé », au point qu’il prime sur toute autre considération.
Et c’est exactement là que le bât blesse. L’argument du contrat social ne peut, n’en déplaise à l’UDC, faire fi des garanties et principes fondamentaux de notre Etat de droit. A ce titre, il faut sans nul doute compter le principe de proportionnalité, qui exige que chaque cas soit traité de manière individuelle, c’est-à-dire en prenant en compte toutes les informations pertinentes. Vu qu’elle demande l’automaticité des expulsions, l’initiative « Moutons noirs » entre en contradiction insurmontable avec ce principe.

De plus, le contrat social entre la Suisse et ses étrangers ne peut se concevoir dans une sorte de vide institutionnel. La Suisse, en tant que pays souverain, est partie prenante au concert des nations et s’engage à ce titre à respecter certains principes fondamentaux de l’ordre juridique international. Le principe de non-refoulement et l’interdiction de livrer des personnes à des Etats où il risque la torture ou d’autres traitement inhumains forment les conditions-cadres de ce que la Suisse peut entreprendre. A ce double titre, l’initiative « Moutons noirs » pèche gravement par l’absolutisation du contrat social : il faut la repousser vigoureusement.

Johan Rochel
www.chroniques.ch

Aucun commentaire: