L’obligation de servir occupe les esprits. Pierre Maudet – agissant au
nom de la Commission fédérale pour l’enfance et la Jeunesse (CFEJ) – a présenté
il y a peu son rapport sur l’obligation de servir, sobrement intitulé « Le
contrat citoyen ». La réaction de votre serviteur, publiée dans Le Temps du 31 octobre 2011 – disponible
sur le blog) n’a pas manqué de provoquer quelques
réactions. Bon gré mal gré, cette discussion publique doit être encouragée. En
effet, l’initiative pour l’abrogation de la conscription obligatoire menée par
le GSSA sera bientôt déposée à la chancellerie fédérale. D’ici à trois ans, le
peuple suisse se prononcera sur cette question.
La question qui se pose n’est pas celle de l’existence de l’armée, mais bien celle de
l’obligation de servir pour l’ensemble des citoyens. A titre d’exemple, une
armée professionnelle signifierait le premier sans le second. A ce titre, on
peut reprocher au rapport Maudet d’avoir pris le cadre légal actuel
(l’obligation de servir au sens de la Constitution) comme point de départ. En
effet, cet aspect absolument fondamental mérite une discussion des plus
approfondies. La question est loin d’être seulement théorique ; il en va
tout de même de la justification d’un sacrifice de 9 mois (temps moyen passé
sous les drapeaux par un soldat) pour l’ensemble des citoyens
masculins !
Trop souvent, les argumentaires mélangent effets secondaires
souhaitables et souhaités (ciment national, rencontre des cultures, expérience
sociale), paternalisme (inculcation de « valeurs » à une jeunesse par
trop déboussolée) et arguments sérieux pour l’obligation de servir. L’argument
le plus fort – qui coïncide avec la mission principale de l’armée – relève de
la défense du pays. Mais hors périodes de tensions accrues, ce danger immédiat
pour la nation n’est pas un argument très fort. Il justifie bien
l’existence de l’armée, mais pas la conscription obligatoire. L’argument
démocratique lié à un recours excessif à la « tradition » – 63% des
Suisses seraient favorables à l’obligation de servir – a lui aussi ses limites.
Est-il acceptable qu’une majorité oblige une minorité (les jeunes hommes) à
l’obligation de servir ? A titre d’exemple, cette même population
pourrait-elle sans autre décider, via un vote souverain, d’instaurer un « service civique
obligatoire » pour tous les hommes retraités ? Vu que des arguments en
tous points similaires au service militaire pourraient être utilisés, cette
analogie devrait nous mettre la puce à l’oreille : cette obligation
serait-elle légitime ?
L’épreuve du feu de cette justification pointe le bout de son nez en
toute fin du rapport concocté par Maudet : les femmes ! Supposons que
l’obligation de servir puisse encore être légitimée, comment justifier qu’elle
ne touche que les hommes ? L’argumentation passe souvent d’une description du partage des tâches actuelles en société ( par ex. les femmes ont encore souvent la
garde des enfants et font beaucoup de bénévolat) à des injonctions moralisatrices ( par ex. nécessité d’enfanter face au
déclin démographique) et participent du même coup au bétonnage des rôles
sociaux. Les libéraux de cœur ne peuvent se résoudre à accepter cela.
De manière particulièrement frappante, cette question féminine démontre
que l’argumentaire classique pour l’obligation de servir est peu satisfaisant.
A ce titre, il est particulièrement intéressant de noter que la justification
de servir dans l’armée ne peut être la même que l’obligation de servir au
service civil. En effet, l’appel à la défense de la patrie ne peut pas être
utilisé dans le cadre d’un argument sur le service civil. Il n’est dès lors pas
étonnant que le rapport Maudet s’appuie sur l’idée d’un « contrat »
de société. Mais ce recours à l'idée de contrat ne résout pas toutes les difficultés, loin s'en faut. En effet, comme noté ci-dessus sur l'argument démocratique, c'est la légitimité de ce contrat de société qui est en jeu. Mais le point important reste qu'il importe de discuter la
source de cette obligation tout en gardant en tête que chacune des obligations
de servir (armée ou service civil) appelle une justification spécifique.
Cette discussion fondamentale sur l'obligation de servir ne doit pas éclipser la nécessité de
mesures immédiates. Tout à l’inverse ! Il est absolument central que les décideurs
suisses trouvent une façon de rendre crédible l’obligation de servir, tant que
celle-ci est en vigueur. A court terme et selon les plans dessinés par le
Parlement et le Conseil fédéral, l’armée sera en situation de sureffectif
marqué. Dans une classe d’âge, près de 30% des jeunes hommes n’effectuent pas
leur service militaire. Il est insupportable de penser que certains continuer
en toute impunité à user de méthodes douteuses pour échapper à l’obligation de
servir. En effet, y’a-t-il valeur plus fondamentale que l’égalité devant la loi ?
Quant aux formes de service, il est grand temps de compléter
l’équivalence entre service civil et armée. Les durées de service doivent être
égalisées. Comme le défend le rapport Maudet, seul un véritable choix entre les
deux options apparaît justifiable. L’argument selon lequel l’armée aurait alors
des difficultés à recruter les « bons » éléments paraît difficilement
acceptable. Premièrement, cette sélection par une obligation plus que poreuse a
pour conséquence première une violation massive de l’égalité des chances. Outre le manque de respect des institutions, tous
n’ont pas la même chance d’accéder à un médecin conciliant. Deuxièmement, cet
argument pointe du doigt un drôle de paradoxe. Les aspects positifs de
l’expérience militaire sont sans cesse vantés, mais ils disparaissent
totalement lorsque l’on parle de la capacité de l’armée à attirer les bonnes recrues et futurs officiers. Si ces points positifs étaient si forts, les jeunes gens se
détourneraient-ils de l’armée ? Quoiqu’il en soit, il relève clairement de la responsabilité de
l’armée de créer des incitatifs pour attirer les meilleurs.
Johan Rochel
www.chroniques.ch
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