lundi 31 octobre 2011

"Contrat Citoyen": Pierre Maudet doit revoir sa copie

Article publié dans Le Temps (31.10.2011)

En tant que président de la Commission fédérale pour l’enfance et la jeunesse, Pierre Maudet plaide pour le libre choix entre service militaire et civil (Le Temps du 21.10.2011). Mais son rapport souffre d’insuffisances, notamment en ce qui concerne le statu quo pour les femmes.

Qu’il est bon et doux de mourir pour la patrie ». Les mots du poète latin Horace résonnent étrangement à nos oreilles de modernes. Ne craignant pourtant pas la polémique, le rutilant Pierre Maudet – agissant au nom de la Commission fédérale pour l’enfance et la Jeunesse (CFEJ) – a présenté il y a peu son rapport sur l’obligation de servir, sobrement intitulé « Le contrat citoyen ». L’attention médiatique fut méritée au vue de l’importance de la thématique : l’obligation de servir et le sens du service militaire. A n’en pas douter, il s’agit également d’une heureuse opportunité de se préparer à la campagne houleuse que ne manquera pas de provoquer l’initiative pour l’abrogation de la conscription obligatoire menée par le GSSA.

Les constats avancés par le rapport de la CFEJ ne devraient manquer d’interpeller tous les citoyens de ce pays : près de 30% des jeunes hommes n’effectuent pas leur service militaire et plus de 50% n’arrivent pas au bout de leurs jours de service. De plus, à court terme et selon les plans dessinés par le Parlement et le Conseil fédéral, l’armée sera en situation de sureffectif marqué. Face à ces constats, le plaidoyer de Maudet pour l’équivalence entre armée et service civil sonne juste. Pour un officier radical-libéral et au vue des contraintes politiques qui pèsent sur toute proposition de réforme de la Grande Muette, le geste mérite d’être vivement salué. La lecture du rapport laisse toutefois un goût étrangement amer tant il alterne réflexions nécessaires et courageuses avec une analyse qui aurait mérité d’être poussée plus à fond. Après avoir ouvert la boîte de Pandore d’un nouveau « contrat citoyen », le rapport Maudet aurait pu trouver son sens politique dans la mise à plat de l’ensemble des problèmes en présence.

Le rapport se structure autour des deux concepts clef du débat, à savoir « obligation » et « servir ». La partie dédiée aux deux formes de service est bien menée, même si Maudet peine à laisser de côté un ton volontiers alarmiste pour traiter de l’ « explosion » du nombre de civilistes. Alors que lui-même relativise ces chiffres et montre que 2008-2009 sont sûrement des exceptions (très certainement dues à l’abolition de l’examen de conscience). Le nombre de demandes redescend déjà au premier trimestre 2011 (moins 25%). De plus, la poussée du nombre de civilistes semble être due au « retour » de ceux qui se faisaient porter pâles. Sachons-nous réjouir de ces nouvelles forces vives !

Le bât blesse sur la question de l’obligation. En effet, même s’il postule un changement fondamental de la situation sécuritaire de la Suisse (types de menace, contexte géostratégique, types d’armée), Maudet peine à en tirer les conclusions qui s’imposent. Et l’initiative du GSSA mettra exactement le doigt sur cette douloureuse question : l’obligation de servir est-elle encore justifiable ? Comprenons bien la structure du problème : nous sommes face à une pesée d’intérêts parfois contradictoires dont l’enjeu n’est rien de moins que la justification de l’obligation. En d’autres mots, certains points positifs de l’expérience militaire suffisent-ils à justifier un sacrifice de 9 mois (temps moyen passé sous les drapeaux par un soldat) pour l’ensemble des citoyens masculins ?

A ce titre, l’argumentaire de Maudet confond effets secondaires souhaitables et souhaités (ciment national, rencontre des cultures, expérience sociale), paternalisme patenté (inculcation de « valeurs » à une jeunesse par trop déboussolée) et arguments sérieux pour l’obligation de servir. Au contraire de périodes de tensions accrues, le danger immédiat pour la nation n’est plus un argument valide. L’argument démocratique lié à un recours excessif à la « tradition » – 63% des Suisses seraient favorables à l’obligation de servir – a lui aussi ses limites. N’est-on finalement pas face à une situation relativement classique de domination d’une minorité (les jeunes hommes) par le reste de la population ? Via un vote souverain, cette même population pourrait-elle sans autre décider d’instaurer un « service civique obligatoire » pour les hommes de 67 ans ? La faiblesse des arguments avancés dessinent avant tout un renversement du fardeau de la preuve : les défenseurs de l’obligation de servir sont appelés à présenter un argumentaire solide.

L’épreuve du feu de cette justification pointe le bout de son nez en toute fin du rapport : les femmes ! Supposons que l’obligation de servir puisse encore être légitimée, comment justifier qu’elle ne touche que les hommes ? Maudet, sentant le danger, botte en touche : « Oui dans l’absolu. Mais poser la question, c’est à coup provoquer une levée de boucliers. » Acculé, il n’a d’autre choix que de proposer des réflexions fleurant bon le conservatisme social. Sa victoire à la Pyrrhus passe par une argumentation mélangeant description de la société actuelle (où les femmes ont encore souvent la garde des enfants et font beaucoup de bénévolat) et injonctions moralisatrices (nécessité d’enfanter face au déclin démographique). Les libéraux de cœur apprécieront cette vision du partage des tâches en société. Le rapport Maudet doit être salué comme prise de position courageuse. La CFEJ doit néanmoins se remettre à l’ouvrage. Le rapport n’a pas fourni un argumentaire suffisant pour l’obligation de servir au 21è siècle. Comme l’a montré le chapitre absolument insuffisant dédié à la question des femmes, il faut avoir le courage d’ouvrir entièrement la boite de Pandore. Et les promoteurs de l’obligation de servir feraient bien d’entendre ce message : « Redonner un sens au mot servir et une crédibilité au terme obligation » est à ce prix.

Johan Rochel, www.chroniques.ch
Doctorant en droit et philosophie politique, Université de Fribourg

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