lundi 18 février 2008

Mais qui peut voter ?


Au premier abord, la question peut paraître triviale, presque stupide. Lors d’un vote démocratique, qui possède un droit légitime à prendre part au vote ? Prenons un exemple, afin de mettre en lumière la finesse du problème. La France souhaite construire une nouvelle centrale nucléaire, qu’elle a décidé de placer à proximité de la frontière suisse. Une ville de taille importante, par. ex. Genève, se situe dans un périmètre de 30 km. Qui devrait posséder le droit de se prononcer ? Seulement les Français ? Les Suisses de la région touchée seront pourtant directement concernés par la nouvelle centrale. Ne pourraient-ils pas faire valoir une juste prétention au vote ?
Une première remarque d’ordre logique s’impose. La question de savoir « qui devrait voter ? » ne peut être initialement résolue par un vote démocratique. Ce dernier suppose que nous sachions déjà qui peut voter, or c’est justement ce que nous recherchons. Ce sont donc d’autres critères qui doivent nous aider à résoudre le problème.

Les démocraties actuelles nous offrent des exemples de tels critères. Et trois points semblent particulièrement se détacher : le territoire, la nationalité et l’histoire*. Mais quel principe encore plus fondamental se cache derrière chacun de ces trois critères ? Ils reposent sur la conviction que les intérêts des individus sont affectés par les choix et actions des autres individus partageant ses critères : une sorte de communauté d’intérêts. Par ex., on estime justifié que les Suisses (dans la limite d’un territoire, d’une nationalité ou d’une histoire commune) possèdent un droit de vote, car le destin d’un citoyen suisse est lié à celui de ses voisins.
Mais ces trois critères ne sont pas parfaitement alignés avec le critère « être affecté par… ». Ainsi, dans notre exemple initial de la centrale nucléaire, les Genevois sont pleinement touchés par l’installation, mais ne peuvent toutefois faire valoir des droits car ils ne partagent pas le même territoire ou la même nationalité. Un autre exemple pourrait être celui d’un étranger vivant en Suisse depuis 20 ans. Il partage son quotidien avec des Suisses – en ce sens, l’histoire suisse des vingt dernières années est aussi la sienne -, vit dans les mêmes frontières mais ne jouit pourtant pas du droit de se prononcer sur les lois du pays (alors qu’elles l’affectent comme les autres citoyens).

Sur un plan moral, il semble justifiable de retenir le critère « être affecté par… » comme base de droit. En effet, il paraît juste qu’une personne puisse co-décider si elle est touchée par la décision à prendre. Mais, sur la base de ce critère, un nombre incontrôlable de personnes peut alors être intégré dans le processus de vote. Les Irakiens seront les premiers touchés par le choix du prochain président américain : ils devraient donc pouvoir voter**. De même pour les réfugiés vivant en Suisse : ils auraient pu co-décider de la nouvelle loi sur les étrangers. En bref, la situation devient vite telle que chacun peut prétendre voter sur tous les sujets du monde.

Cet idéal moral semble impossible à réaliser dans la pratique. Le défi consiste donc à trouver la forme pratiquement possible qui correspond le plus à ce critère « affecté par… ». Le projet peut toutefois nous emmener passablement loin.

La solution pratique retenue actuellement semble être le cadre d’un Etat-Nation. Les citoyens forment ainsi le noyau des co-décideurs. Sur ce cadre national, on pourrait toutefois imaginer superposer de nouvelles formes démocratiques, permettant d’approcher la situation où toutes les personnes concernées par une décision auraient leur mot à dire (comme dans l’ex. de la centrale). A ce titre, ne devrait-on pas voter à l’échelle européenne, voire bientôt mondiale ? Peut-on imaginer une démocratie mondiale, qui fonctionnerait sous la forme d’une confédération ? Cette idée relève encore de l’utopie dans la pratique, elle n’en est pas moins passionnante sur le plan théorique.
Une autre voie, plus modeste, pourrait être celle d’une plus forte législation internationale. Cela nous permet de revenir à notre exemple de la centrale nucléaire. Si les Genevois ne peuvent pas voter, au moins leurs intérêts pourraient-ils être protégés par l’existence de lois internationales, assurant par ex. qu’un pays souhaitant construire une centrale nucléaire à proximité d’un autre pays réponde de garanties précises. La problématique de la justice a ici été transférée du « avons-nous un droit à voter ? » à « nos intérêts sont-ils défendus ? ».
Nous avons évoqué ici des solutions allant vers plus de possibilités de décider à l’échelle internationale. Qu’en est-il de l’ « intérieur » ? Sur la base des réflexions présentées ici, ne pourrions-nous pas justifier un droit de vote pour des étrangers installés en Suisse depuis longtemps ?

Johan Rochel

* Voir le texte introductif de Robert E. Goodin, « Enchranchising all affected interests, and its alternatives », Philosophy and Public Affairs 35, 2007
** Il est, à ce titre, très intéressant de remarquer que de nombreux commentateurs soulignent que tous les partenaires internationaux des Etats-Unis sont dans une phase d’attente. Ils savent l’influence énorme qu’aura le choix américain sur le quotidien du reste du monde, sans toutefois pouvoir participer ou même influencer de manière décisive cette votation. Derrière une réflexion de ce genre se cache l’intuition que nous tentons de développer ci-dessus.

4 commentaires:

fabien girard a dit…
Ce commentaire a été supprimé par l'auteur.
fabien girard a dit…

salut les copaings!

Ho que oui! la question reste à savoir a quelle niveau. Sauf erreur sur le canton de Vaud, tous les citoyens (majeurs) sont invités à participer aux votations communales (peut-être aussi aux élections communales?).

Cette solution est également une excellent moyen d'intégration pour les personnes "étrangères" (du coup, le sont-elles encore?).

Cependant l'intégration à l'échelon cantonal ou national mériterait toujours pour moi une naturalisation, gage d'une intégration "aboutie".

A quand ce droit en Valais, et surtout à Monthey? Amis élus, à vos plumes!

fabien g.

Fabien a dit…

un autre Fabien...
Je suis assez d'accord sur cette question...
Enfin, du moins pour le droit de vote...C'est vrai qu'après un certain temps (par exemple mon cher père, qui, après 30ans passés en Suisse, a tout à fait son mot a dire sur la chose publique), je ne vois pas pourquoi on refuserait un droit de cité communal, voir cantonal à un étranger, dans la mesure où celui-ci serait résident depuis un certain nombre d'années (10 à 15). A ceux qui pensent qu'un étranger s'en fout pas bien mal de voter, je répondrai que s'il s'en fout,il ne votera pas, point.

Au niveau national, c'est autre chose. Enfin, à quoi bon une nationalité si on peut s'exprimer sur l'avenir d'un pays qui n'est pas "le sien". Ce que je veux dire, c'est que le privilège de participer à la démocratie doit être donné aux nationaux, et pas a tout résident. Un droit de cité national demande, selon moi, une ferme volonté de montrer qu'on se sent appartenir à une patrie.
Ca me rappelle la fameuse phrase :"ce n'est pas la nation qui créée l'Etat, mais l'Etat qui créée la nation"...

Et sinon, johan, que penses-tu du rôle du droit international, justement dans le cas de la construction d'une centrale nucléaire à Annemasse, par exemple. Ne crois-tu pas que la Suisse interviendrait, justement dans la perspective de défendre ses citoyens de la région genevoise, qui n'ont justement pas leur mot à dire sur la question, puisqu'il s'agit d'une décision prise dans un autre pays?

Johan Rochel a dit…

Cher Fabien,

Merci pour tes réactions, m'obligeant chaque fois à préciser mon propos.

Je suis tout à fait d'accord avec toi concernant l'exemple de la centrale. Le droit international - et les mesures de compensation et de garanties en terme de sécurité que devra vraisemblablement donner la France à la Suisse - vient ici en quelques sortes "compenser", ou "remplacer" le droit moral qu'auraient les Genevois à se prononcer sur une affaire qui les touche de plein fouet.
Le point de départ me semble être le suivant: les Genevois, dans cet exemple, ont une juste prétention à posséder un droit de parole, car ils sont concernés (le critère "affecté par..."). Problème, ils ne peuvent obtenir le droit de vote. Le droit international leur offre une façon alternative de faire valoir ce droit légitime de co-décider qu'ils possèdent. Une autre solution aurait pu être de créer une région à cheval sur les deux pays, avec des pouvoirs de décision partagés entre les deux pays.