lundi 18 octobre 2010

Un appel à penser plus grand !

Cela ressemble à une partie d’échecs où l’un des joueurs piège avec talent son contradicteur. Dans un débat de société, celui qui choisit les termes du débat possède sur ses adversaires un avantage stratégique souvent décisif. Il impose ses questions, mais également sa thématique et les moyens de trancher le débat. A lui le choix des armes et des règles !

Comme l’a montré l’initiative moutons noirs, l’UDC excelle dans cet exercice. D’un coup bien placé, le parti autrefois agrarien a imposé sa question par le biais d’une initiative populaire et forcé du même coup tous les acteurs politiques à venir sur son terrain du vote devant le peuple. Le contre-projet direct du Parlement n’est que la suite logique d’une partie rondement menée. Le 27 novembre prochain, après une campagne à grands coups de violeurs et de pédophiles, la première manche prendra fin.

Dans ce populisme ambiant – de gauche comme de droite ! – on entend trop peu souvent la voix de ceux qui veulent penser plus grand. De ceux qui n’entendent pas se laisser imposer les termes d’un débat tronqué. A ce titre, les voisins français connaissent bien la figure de l’intellectuel : un personnage public qui se donne pour mission de repenser les vérités soi-disant établies, les éclairages douteux et les raccourcis suspicieux. Sa plus grande vertu se confond avec sa capacité à ne pas se laisser enfermer dans un faux débat, à repenser les bases mêmes de la discussion.

Sous nos latitudes romandes, on connait quelques personnalités qui exercent cette activité fondamentale pour une démocratie vivante. Mais leur mission n’est pas aisée, tant la place que les médias leur réserve est ténue. Outre quelques habitués de la chronique, l’espace médiatique n’est pas propice au cours de la pensée. Celle-ci requiert parfois détours et circonvolutions, références originales ou lenteurs apparentes dans l’argument afin de déployer toute sa force. Peut-on dès lors imaginer une remarque plus destructrice que celle du journaliste enjoignant son invité à répondre en une minute à une question faussement simpliste ?

La place des intellectuels dans cette bulle médiatique n’est pas sans rappeler les fameux albatros de Baudelaire, ces grands oiseaux de mer que les marins attrapent pour s’amuser. Perdus sur le pont au milieu des huées, les albatros, autrefois majestueux, peinent alors à se mouvoir. Ne cédons pas à l’initiative de quelques sinistres marins et laissons respirer la pensée. On aurait grand tort de croire que l’on peut sans coup férir abandonner le champ de la pensée aux politiciens alliés aux promoteurs du format « 20 minutes ».

Johan Rochel
www.chroniques.ch

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