vendredi 30 avril 2010

L'heure des rondes

C’est dans l’air du temps. Les magazines féminins et masculins fourmillent d’articles passionnants et de belle valeur littéraire sur la dernière méthode pour perdre sans effort ces 250 grammes qui pourrissent un été. Nouveauté 2010, ce sont les ronds et, surtout, les rondes qui sont à l’honneur ! Des dernières productions du cinéma américain – où la dame ronde est en plus noire ! – au numéro spécial « rondes » du Fémina, ces personnes bien portantes font la une.

Mais qui sont-elles, ces fameuses rondes ? Le spectre de la ronde va de la dame normale non-anorexique (la ronde de Cosmopolitain) à la femme carrément obèse. L’emploi du terme touche à la malhonnêteté intellectuelle, tant il englobe des situations différentes et absolument incomparables.
A parcourir ces magazines dédiés aux personnes « en surpoids », on est gagné par une impression de déjà-vu. Déjà-vu, car l’on se trouve confronté à nos voisines, nos collègues, nos amis. A une différence près : ces personnes papier glacé sont toutes plus belles les unes que les autres. Nonobstant le bistouri informatique et une sélection drastique, ces photos ont au moins le mérite de rappeler que la beauté ne saurait se limiter à l’indice de masse corporelle. Elle est bien plus complexe que l’équation pseudo mathématique que veut nous vendre le discours esthétique de la mode et des médias.

Mais la problématique serait encore relativement banale si elle devait s’arrêter là. A chaque nouveau printemps, elle plongerait dans une légère déprime tous ceux qui acceptent le joug sans pitié de Monsieur et, surtout, Madame courbes parfaites. Le discours esthétique va toutefois plus loin. A grands coups de photos retouchées, il se fait scientifisant et moralisant.
En associant un discours médical sérieux avec des bagatelles, il confond code de beauté pour la plage avec problèmes de santé publique. Plus grave encore, il appelle tous les lecteurs à faire allégeance à un mode de vie fait d’assiettes minceur et de séances de fitness. Dans un mouvement fallacieux, le discours passe sans coup férir de ce qui serait (!) bon pour le corps à ce qui est bon moralement.
Dans cette veine inquiétante, le discours des magazines fait l’apologie de la volonté : celui qui veut peut. La négative de cette belle école de diète saute aux yeux : celui qui reste gros manque de volonté. Le terrain est ainsi préparé pour une séance de piloris en bonne et due forme : les gros sont de mauvaises personnes. Dit dans l’air du temps, les rondes et les ronds devraient se donner plus de peine.

Johan Rochel
www.chroniques.ch

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