lundi 14 avril 2008

Le CIO: plus politique, tu....

C’est un argument qui revient sans cesse dans le débat actuel des Jeux de Pékin. Jacques Rogge apparaît à l’écran et affirme que le CIO n’est pas un organisme politique. Le raisonnement coule ensuite de source : à ce titre, il n’a pas à s’engager de manière trop précise en faveur du respect des droits de l’homme. Rien n’est plus faux sous bien des aspects. Et, à moins d’accepter une définition excessivement restrictive de la politique, force est de constater que le CIO est une institution à caractère essentiellement politique.
Un bref retour aux sources s’impose. Le chapitre 2 de la Charte Olympique présente explicitement les objectifs que se propose le mouvement olympique : « le but de l’olympisme est de mettre le sport au service du développement harmonieux en vue de promouvoir une société pacifique, soucieuse de préserver la dignité humaine. » Depuis sa fondation, le CIO s’est donc pensé comme un outil pour la fabrication d’une société pacifique. Dans un sens strict, Pierre de Coubertin a toujours instrumentalisé le sport pour en faire un vecteur de paix. Peut-on s’imaginer buts plus politiques que ceux décrits dans la Charte ? En plus d’être politiques, il est à noter que ces buts acceptent et défendent une certaine ligne de valeurs bien précise, définie sur la base d’un idéal de paix entre les nations et de respect de la dignité humaine.
Une brève incursion dans l’excellent mémoire de licence de Jean-Yves Charles, présenté à l’université de Lausanne l’année dernière[1], nous offre l’occasion de mettre en lumière que le CIO s’est toujours pensé comme un organisme politique. De plus, nous verrons que le contenu de ses idéaux fluctuent au gré du temps.

Les Jeux Africains (1923-1929): un projet oublié
Au cours de sa longue carrière à la pointe du mouvement olympique, Pierre de Coubertin considère que la pratique sportive est un outil d’excellence pour parvenir à apaiser les tensions sociales et internationales. Dans le contexte colonial de l’entre-deux-guerres, les Jeux olympiques font pour lui figure d’expédient afin de calmer les esprits et, par là même, d’assurer la domination de l’homme blanc sur une Afrique parfois tentée par l’insurrection. De Coubertin en est convaincu : des Jeux Africains rempliraient fort bien cette fonction de soupape. En 1923, il se présente donc avec sa proposition de jeux coloniaux devant le CIO. Suite à des dissensions internes et à des visions divergentes quant à l’utilité des Jeux en matière de colonisation, les projets « Alexandrie 1927 » et « Alexandrie 1929 » seront abandonnés. Depuis, l’historiographie officielle les a peu à peu oubliés.
La volonté du baron de Coubertin et du CIO de coupler entreprise coloniale et olympisme apporte une excellente preuve que le CIO ne peut se comprendre en dehors de sa dimension politique. Conscientes de ce rôle joué par l’institution olympique, certaines métropoles de l’époque – à l’exemple de la France – ne souhaitent pas voir des Jeux s’implanter en Afrique. Selon les explications alors présentées, cela mettrait les colonies sur un pied d’égalité avec les Européens et donnerait l’occasion aux indigènes de participer à des compétitions réservées aux Blancs.
Si l’on peut discuter les intentions colonialistes du CIO, il n’est en revanche pas possible de remettre en question qu’il s’agit de visées politiques. En instrumentalisant le sport au service de différents idéaux – en tête de liste la paix internationale -, de Coubertin a donné au CIO une nature essentiellement politique.
Dans les faits, le CIO jouit d’une indéniable force sur la scène internationale. En nominant telle candidature, il est mesure de provoquer un petit séisme économique et politique. A travers ses choix, il applique sur les différents pays un vernis de légitimité internationale.
Cette relative influence s’accompagne de responsabilités. Dans l’esprit du CIO de l’entre-deux-guerres, la poursuite de la colonisation au moyen de l’olympisme servait au mieux la préservation de la paix. La définition et l’importance accordée aux droits de l’homme ont fondamentalement changé. A nos yeux, de Coubertin s’est certainement rendu coupable d’associer olympisme et colonialisme.
Aujourd’hui, qui veut poursuivre des buts pacifistes et donner un sens à la dignité humaine ne peut agir comme le prescriraient peut-être d’autres éléments d’ordre stratégique ou économique. Le souci de cohérence vis-à-vis des valeurs défendues impose un strict respect des priorités entre ces différents éléments. Sous ces différents aspects, la leçon du passé est plus que jamais d’actualité.

Johan Rochel
www.chroniques.ch

[1] Jean-Yves Charles, « Pierre de Coubertin, un projet oublié : les Jeux Africains 1923-1929 », mémoire non publié, Université de Lausanne, juin 2007

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