vendredi 20 avril 2012

Histoire d’un voyageur francophone au Québec


Cette carte blanche vient de loin : d’Outre-Atlantique. Mais cette carte blanche vient de proche : d’une terre francophone. A se promener dans les rues de Montréal, on ne peut se défaire de cette sensation étrange et légèrement troublante d’être à la fois chez soi et ailleurs. De jouir de la confiance de celui qui va trouver son chemin dans un environnement familier, confiance aussitôt remise en doute par des codes sociaux inconnus. Le voyageur francophone avance prudemment, apprenti funambule sur la corde des cultures.

Et ce même voyageur ne cesse de s’étonner de cette langue qu’on a dit chantante, joyeuse, attachante. Une langue où les expressions amusantes la disputent aux conversations endiablées sur les blondes, les chums et le hockey. Le temps de son voyage, le francophone « continental » fait alors l’expérience fascinante d’une langue en pleine évolution. Il est au cœur d’un immense laboratoire où les formes de communication évoluent sous ses yeux. Le « franglais » est dénoncé chez nous ? Vu du Québec, nos crispations sur ce sujet ressemblent à des cris d’enfants apeurés. L’anglicisation de la langue a pris ici une dimension autrement plus importante. Comment pourrait-il en être autrement  pour cet îlot de francophonie perdu au milieu de 350 millions d’anglophones ? La pérennité et la stabilité relatives du français relèvent ici du miracle. 

Reste au voyageur à savoir quelle attitude adopter. Doit-il dénoncer les incroyables écarts par rapport au français standard ou au contraire s’émerveiller d’être aux premiers rangs d’une langue en pleine évolution ? Dans le deuxième cas, il n’y a alors plus de français « standard », mais seulement des français. Des idiomes qui ne sont pas de simples différences d’accent ou des régionalismes, mais qui reflètent une évolution plus profonde. Ces transformations touchent à la structure de la langue, aux façons dont les tournures prennent forme, à la manière dont la langue dessine notre rapport au monde. Mais elles concernent aussi cette étonnante perméabilité aux références culturelles – cette capacité que possède une langue de faire sienne de nouveaux contenus. 

Le français de l’Académie n’est qu’un point de fuite dans l’horizon – ou le passé – des différents français. Ceux-ci évoluent, cherchent leur chemin, trouvent de nouvelles voies. C’est dans ce contexte de mutations permanentes que, vu de Montréal, l’engagement  en faveur de la francophonie prend tout son sens. Il ne s’agit pas d’une lutte pour la survie d’un français sorti du Grévisse, mais plutôt d’un engagement au service d’une évolution harmonieuse. Ne reste qu’à préserver la confiance d’avancer sur ce chemin à la fois fascinant et incertain.

Johan Rochel
www.chroniques.ch  

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