Cette carte blanche vient de
loin : d’Outre-Atlantique. Mais cette carte blanche vient de proche :
d’une terre francophone. A se promener dans les rues de Montréal, on ne peut se
défaire de cette sensation étrange et légèrement troublante d’être à la fois
chez soi et ailleurs. De jouir de la confiance de celui qui va trouver son
chemin dans un environnement familier, confiance aussitôt remise en doute par
des codes sociaux inconnus. Le voyageur francophone avance prudemment, apprenti
funambule sur la corde des cultures.
Et ce même voyageur ne cesse de
s’étonner de cette langue qu’on a dit chantante, joyeuse, attachante. Une
langue où les expressions amusantes la disputent aux conversations endiablées
sur les blondes, les chums et le hockey. Le temps de son voyage, le francophone
« continental » fait alors l’expérience fascinante d’une langue en
pleine évolution. Il est au cœur d’un immense laboratoire où les formes de
communication évoluent sous ses yeux. Le « franglais » est dénoncé
chez nous ? Vu du Québec, nos crispations sur ce sujet ressemblent à des
cris d’enfants apeurés. L’anglicisation de la langue a pris ici une dimension
autrement plus importante. Comment pourrait-il en être autrement pour cet îlot de francophonie perdu au milieu
de 350 millions d’anglophones ? La pérennité et la stabilité relatives du
français relèvent ici du miracle.
Reste au voyageur à savoir quelle
attitude adopter. Doit-il dénoncer les incroyables écarts par rapport au
français standard ou au contraire s’émerveiller d’être aux premiers rangs d’une
langue en pleine évolution ? Dans le deuxième cas, il n’y a alors plus de
français « standard », mais seulement des français. Des idiomes qui ne sont pas de simples différences
d’accent ou des régionalismes, mais qui reflètent une évolution plus profonde.
Ces transformations touchent à la structure de la langue, aux façons dont les
tournures prennent forme, à la manière dont la langue dessine notre rapport au
monde. Mais elles concernent aussi cette étonnante perméabilité aux références
culturelles – cette capacité que possède une langue de faire sienne de nouveaux contenus.
Le français de l’Académie n’est
qu’un point de fuite dans l’horizon – ou le passé – des différents français.
Ceux-ci évoluent, cherchent leur chemin, trouvent de nouvelles voies. C’est dans ce
contexte de mutations permanentes que, vu de Montréal, l’engagement
en faveur de la francophonie prend tout son sens. Il ne s’agit pas d’une lutte
pour la survie d’un français sorti du Grévisse, mais plutôt d’un engagement au
service d’une évolution harmonieuse. Ne reste qu’à préserver la confiance
d’avancer sur ce chemin à la fois fascinant et incertain.
Johan Rochel
www.chroniques.ch
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