mercredi 28 octobre 2009

Pluralisme raisonnable

L’actualité politique est marquée par nombre de discussions à fort dosage émotionnel. Anti-minaret et pro-athéistes occupent la place publique. En prenant un peu d’altitude sur la frénésie ambiante, il apparaît que bien des problématiques relèvent, en partie, d’un même défi : celui du vivre-ensemble.

On aurait tort de thématiser ce vivre-ensemble sous le seul angle de l’intégration, en opposant Suisses et étrangers. Sans être complètement indépendant de cette question, le phénomène que j’ai en vue est bien plus fondamental. Ce vivre-ensemble, c’est le défi d’organiser une vie en société entre des personnes entretenant des croyances, des modes de vie, des opinions fortement hétérogènes. Entre autres explications à ce phénomène, il est possible de distinguer le brassage des populations – sous l’effet conjugué des mondialisations économique, humaine et culturelle – ainsi que le développement des individus au sein d’une société libérale. Par là, j’entends l’opportunité que garantit une société libérale et démocratique à chacun de se développer et de vivre de la manière dont il le souhaite. Cette liberté s’étend dans tous les domaines, de la religion, au rapport au travail ou à l’orientation sexuelle.

De ces mélanges croissants et du développement normal des individus dans une société libérale provient ce caractère fondamentalement hétérogène. Le philosophe américain John Rawls a capturé cette idée dans le concept de « pluralisme raisonnable », indiquant qu’il fallait compter avec des individus rationnels se développant sous une forme irrémédiablement plurielle. Il y a fort à parier que ce pluralisme raisonnable marque de son empreinte le développement actuel et futur de nos sociétés. Il serait à mon sens une dangereuse illusion de croire à un retour à l’homogénéité, à moins que ne disparaissent les sociétés libérales telles que nous les connaissons.

En quoi ce pluralisme raisonnable est-il un formidable défi politique ? Vu qu’elle est devenue fondamentalement hétérogène, la société doit repenser son socle – sa base d’existence – de manière différente. Il n’est plus possible de construire l’édifice sociétale sur un ensemble étoffé de normes que tous ou presque partageraient. Il faut travailler à l’élaboration d’un socle commun à des individus hétérogènes, que tous pourraient accepter – c’est la condition de légitimité. Cette base doit être assez solide pour garantir la pérennité de l’ensemble au-delà des conflits entre individus – c’est la condition de solidité politique.

Johan Rochel
www.chronique.ch

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